31 décembre 2021

À propos de la liturgie


1 janvier

Fête de Marie, Mère de Dieu

(Lc 2,16-21)

Le calendrier liturgique ne fête pas le premier jour de l'année civile. Il n'a pas choisi les lectures en fonction de cette circonstance. Huit jours après Noël, nous sommes invités à fêter Marie, sous son plus beau titre, celui qui explique et justifie la vénération dont nous l'entourons : Marie, la Mère de Dieu.

Marie a été capable d'accepter qu'un jour, quelque chose d'inattendu commence dans sa vie. Elle a accueilli l'arrivée d'un événement qui était tout-à-fait inattendu. Et elle l'a accueilli comme quelque chose qui allait se dérouler progressivement. Qu'il me soit fait selon ta Parole : c'était se mettre dans la main de Dieu, qui allait désormais la conduire là où Dieu voulait la conduire. Marie a accepté ce cheminement, accepté que les choses ne se fassent pas tout de suite, accepté qu'il y faille du temps.
 
Marie a donc été capable aussi d'accepter que ce qui avait commencé se poursuive. L'annonciation marquait un commencement ; la naissance du Christ marquait aussi un commencement ; le retour à Nazareth allait en marquer encore un autre ; et ensuite l'entrée dans la vie publique, avec le baptême, la montée à Jérusalem, la mort la résurrection. Tout cela fait autant d'étapes sur une route ; autant d'occasions de commencements ou de recommencements, chaque fois qu'il fallait se faire à du nouveau. L'Evangile nous montre Marie, la Mère de Dieu, traversant toutes ces étapes, acceptant toujours de poser un pied devant l'autre, même quand le pas suivant à faire semble tout autre que celui qui a précédé.

Marie a manifesté en tout cela une grande fidélité à sa parole première. Elle est restée fidèle à travers tout, vigilante, toujours reliée à la fidélité de Dieu qui la suivait et qui la précédait, toujours soucieuse de rattacher ce qu'elle vivait aux événements qu'elle avait connus et qu'elle gardait dans son cœur.

Il me semble qu'elle peut nous inspirer aujourd'hui où nous abordons une nouvelle année. Même si tout cela est finalement assez conventionnel, le passage d'un millésime à l'autre marque pour nous une série de commencements, de recommencements, de possibilités de créer, de récréer. Nous nous trouvons devant un espace neuf à remplir. Nous sommes invités à en accepter le défi : non seulement dans notre vie de tous les jours, mais aussi dans la vie de notre foi. Il est possible que Dieu me parle aujourd'hui d'une manière nouvelle : me voilà donc invité à accepter ce commencement, ce recommencement, avec la disponibilité qu'y a mise la Vierge Marie.

En tout cela, il faut nous enraciner dans le temps de Dieu, dans sa longue fidélité, dans la longue patience qu'il a envers nous et qui doit nous apporter la véritable paix à l'intérieur de nous-mêmes, la réconciliation de ce que nous avons vécu hier et ce que nous vivrons demain, l'unification de notre réponse à l'amour de Dieu.
 
Passer d'une année à l'autre, c'est à la fois remercier Dieu de ce qu'il a été, lui rendre grâces de ce qu'il sera et lui redire toujours notre disponibilité : qu'il me soit fait selon ta Parole, aujourd'hui comme hier et demain.

P. Nicolas Dayez

Maredsous 1.1.1994





24 décembre 2021

À propos de la liturgie

 


NOËL 

Une naissance, c’est tout à la fois un aboutissement et un commencement. L’aboutissement d’un long temps de gestation et de préparatifs ; le commencement d’une vie appelée à devenir de plus en plus libre et autonome. « Que sera cet enfant ?», questionnait-on à la naissance de Jean le Baptiste, précurseur du Messie. Jésus naît dans l’obscurité, au terme du temps d’attente et de mûrissement que nous appelons l’Ancien Testament. Sa vie humaine fut brève, soldée par un échec et une mort infâme d’où nous croyons, sur le témoignage de quelques femmes, qu’il s’est relevé vainqueur. Ressuscité, il « est avec nous pour toujours jusqu’à la fin du monde », comme il l’a promis : « Emmanuel », Dieu avec nous.

Sa vie se poursuit, en nous et avec nous. Son mystère est un. Quand nous fêtons à Noël l’anniversaire de sa naissance, nous célébrons l’aurore d’un Jour qui ne se couchera plus. Nos existences, personnelles et collectives, n’ignorent rien des tâtonnements, des angoisses, des remous et des espérances qui ont précédé sa venue tout au long de l’histoire. Aujourd’hui, nos vies sont appelées à s’unir à la sienne, à l’accueillir dans l’obscurité et dans la joie, à la partager aussi dans la souffrance et même l’échec, mais surtout à y communier en témoins de la création nouvelle inaugurée par sa résurrection. Noël nous rappelle que nous appartenons déjà à ce monde nouveau, celui de l’amour, reçu, donné et à donner inlassablement.




Joyeux Noël à tous !














11 décembre 2021

À propos de la liturgie

 


3ième Dimanche de l’Avent,

de

Gaudete

Année C

Luc 3,1-10



À l’ouverture de la période de l’Avent, l’Évangile nous parlait, bien sûr, de la venue du Christ. Il évoquait, comme contexte de cette venue, les événements de la fin des temps. Dimanche dernier, saint Luc se faisait beaucoup plus précis pour situer, dans l’histoire de l’humanité, la venue du Fils de Dieu. Aujourd’hui, nous voici devant le prophète qui a précédé immédiatement le Christ, qui a été chargé de désigner l’Agneau de Dieu. Jean-Baptiste répond à la question que nous nous posons tous. Moi qui suis disciple du Christ, moi qui ai reçu le baptême, qu’est-ce que je dois faire pour traduire concrètement cette disposition qui est en moi ? Que devons-nous faire ? demandent les foules, les publicains, les soldats.




La réponse de Jean-Baptiste mérite d’être méditée. Elle n’a rien de révolutionnaire. Elle ne dit pas aux publicains qu’ils font un sale métier et qu’ils feraient mieux de l’abandonner. Elle leur dit, au contraire, de faire leur métier, mais de le faire dans les limites de ce métier. Elle ne conseille pas aux soldats de pratiquer l’objection de conscience. Elle leur demande de ne pas abuser de leur rôle, de ne pas sortir de ce qui est leur devoir. Et, au tout venant, Jean-Baptiste demande de partager, pour autant qu’on ait de quoi partager. Il n’y a donc aucune invitation à l’héroïsme, aucune suggestion de se montrer bien au-dessus de ce que nous appellerions une bonne moyenne.


En s’exprimant de cette façon, Jean-Baptiste prépare le chemin à Jésus. Il éduque le regard de ceux et celles qui devront le reconnaître. Il commence à leur dessiner le portrait de celui qui ne vient pas précisément pour sortir du rang. Que de méprises il y aura à ce sujet, même chez les disciples les plus fidèles et jusqu’au lendemain de la résurrection. Est-ce maintenant que tu vas restaurer le royaume d’Israël ?

Jésus n’a pas exigé de Zachée qu’il abandonne son métier de publicain. Rien ne nous dit que Zachée ne le soit pas resté au lendemain de sa mémorable rencontre. Mais il n’aura plus exercé son métier de la même façon. Jésus n’a pas dit au centurion romain de quitter son uniforme. Il a au contraire été rempli d’admiration devant cet homme, le seul à avoir suscité une telle réaction chez Jésus. Plein d’admiration devant sa foi, qu’il parvenait à vivre au cœur même de sa charge, qu’il parvenait même à exprimer en prenant ses exemples dans le concret de tous les jours. J’ai des soldats sous mes ordres, je dis à l’un : va, et il va ; à l’autre : viens, et il vient.

En répondant comme il le fait aujourd’hui, Jean-Baptiste exerce son rôle de nous introduire à la connaissance du Christ. C’est souvent parce qu’il est trop ordinaire que nous risquons de passer à côté de lui sans le remarquer. Comme les contemporains de Nazareth. C’est parce qu’il partage notre humanité de trop près que son message risque toujours de ne pas nous atteindre. C’est parce qu’il demande de nous des choses trop peu extraordinaires que nous serons toujours tentés de ne pas lui répondre.

Est-ce prêcher l’embourgeoisement, la médiocrité, la banalité, le quelconque ? Seuls ceux et celles qui n’ont pas voulu durer et persévérer envisagerons les choses de cette façon-là. Baptiser dans l’Esprit-Saint et le feu n’est pas appeler sur nous les éclairs du Sinaï. N’est-ce pas appeler plutôt dans notre cœur un feu capable de brûler, capable de résister, capable de couver, capable de flamber, capable d’illuminer, capable de chauffer ? L’amour, répandu dans nos cœurs par l’Esprit-Saint, ne fait pas autre chose. Il ne nous sort pas des sentiers ordinaires du quotidien. Au contraire, il nous y maintient. Là, avec Jean-Baptiste, nous apprenons à y reconnaître Celui qui doit venir, Celui qui vient.

P. Nicolas Dayez

 Homélie pour le 3ième Dimanche de l'Avent (Vigiles)

Maredsous, 13.12.1997






27 novembre 2021

À propos de la liturgie

 

LA SIGNIFICATION DE L’AVENT

Réflexion sur l’évangile du 1er dimanche de l’Avent
(Lc 21,25-28.34-36)

« Redressez-vous, votre rédemption approche »

Toute l’histoire du monde tend vers la délivrance. ‘Délivrance’ (le lectionnaire traduit ‘rédemption’) est le mot biblique traditionnel pour dire ‘le salut’, ce sauvetage, évoqué dès les premières pages de la Genèse, qui anéantit non seulement le malheur mais surtout sa cause : le péché. L’évangile d’aujourd’hui montre bien qu’il ne s’agit pas seulement d’une délivrance intérieure, abstraite, théorique. Pour une telle délivrance, on ne prend pas la peine de rester ‘éveillé et en prière’… Il s’agit plutôt d’un salut vivant, de Quelqu’un qui s’approche : le Fils de l’homme que l’on ‘verra venir dans la nuée’, tout investi de la puissance et de la gloire de Dieu. Et pourtant, une telle perspective nous reste bien lointaine et bien mystérieuse…



Plutôt que par une description directe, saint Luc nous parle de cette délivrance à partir des sentiments de ceux qui l’attendent. A partir de nous. Les images apocalyptiques nous renvoient à tous ces ébranlements que nos vies connaissent souvent : chaque fois qu’une idole s’effondre, que nos points d’appui font défaut, que nous nous heurtons à l’agressivité, en nous-mêmes ou chez les autres, chaque fois que nous nous sentons menacés par une difficulté qui dépasse nos forces. L’affolement, la peur, la crainte sont alors notre lot. Or Jésus nous dit qu’à chaque fois, c’est l’heure de la délivrance qui approche. Non pas parce que Dieu va intervenir par miracle mais parce que c’est l’heure de la foi ; c’est le moment d’une vraie rencontre avec le vrai Dieu. C’est le moment où tout ce qui fait écran entre Dieu et nous s’écroule et où le vrai visage de Dieu peut apparaître. Le vrai visage de Dieu qui est aussi le vrai visage de l’homme : ‘On verra le Fils de l’homme’.




Ce n’est donc pas le moment de s’effondrer ou de s’écraser, mais bien de se redresser. Encore faut-il que rien ne vienne entraver ce redressement. Voilà pourquoi l’heure de la foi est aussi l’heure de la vigilance ; non pas l’heure de l’anxiété, mais de la lucidité : les ivrognes perdent leur lucidité. C’est l’heure pour le cœur de faire attention, de prendre garde, l’heure de ne pas se laisser alourdir, distraire de l’essentiel par des soucis immédiats, surtout pas par le plus pesant de tous, le souci de nous-mêmes. Il faut guetter pour ne pas être surpris ; il faut être prêt à accueillir cette rencontre qui est imprévisible, mais aussi possible à tout moment, et pour tous. L’heure de la foi et de la vigilance devient alors l’heure de la prière, l’heure de l’intense besoin et de la supplication, toute tendue vers le Libérateur qui nous met debout pour l’accueillir.

Vivre l’Avent, c’est anticiper cette rencontre décisive en s’y préparant. C’est redresser la tête, se lever et croire à la libération qui s’approche : la vraie rencontre avec Dieu dans le Fils de l’homme. Cette délivrance, nous n’en sommes pas les maîtres, encore moins les acteurs. Mais, à chaque Avent, il faut nous rappeler qu’elle a déjà commencé, que nous l’avons reçue, qu’elle progresse en nous, tous les jours et de plus en plus. Il nous faut simplement y consentir et en rendre grâces. 

Heureux Avent !








31 octobre 2021

À propos de la liturgie

La

Toussaint

Aujourd'hui, nous sommes concrètement ceux à qui les Béatitudes sont destinées. C'est nous qui les lisons. C'est à nous qu'elles s'adressent. La manière dont elles sont formulées ne doit pas nous faire illusion, nous laisser oublier la situation concrète de ceux à qui s'adressent ces mots répétés comme un refrain : Heureux...! Notre situation concrète, puisqu'il s'agit de nous.
Les Béatitudes s'adressent à tous ceux qui sont plutôt mal partis dans l'existence, ceux qui ont vécu ou vivent des expériences difficiles, ceux qui se sont cognés à la rigueur et la dureté de la vie, ceux qui ont vécu ces situations limites par lesquelles tout le monde passe nécessairement d'une manière ou d'une autre, un jour ou l'autre.

Les pauvres, ce sont ceux qui font l'expérience de tous ces vides qu'on peut ressentir à propos de soi-même, des autres, du monde ; chaque fois qu'on éprouve sa misère, sa fragilité, de quelque ordre qu'elle soit. Les doux, les miséricordieux, les artisans de paix, ce sont ceux qui se manifestent de cette façon-là dans des situations où ce n'est pas cette réaction-là qu'on a spontanément. Nous avons tous des expériences de ce que nous avons pu vivre difficilement dans le domaine des relations avec les autres : quand les relations deviennent un peu tendues, on est toujours tenté d'être agressif, de vouloir venger l'offense qu'on a subie, d'entretenir les inimitiés. Les doux maintiennent la douceur, là où nous cultivons plutôt la dureté ; les miséricordieux maintiennent le pardon, là où nous cultivons plutôt la mémoire de ce qui a pu nous blesser; les artisans de paix font tout pour que la paix puisse placer son mot, là où nous voulons plutôt lui fermer la bouche.



Il est bon d'évoquer tous ceux et celles qui ont soutenu ce combat. Parce que c'est un réel combat d'entrer en relation avec Dieu et de maintenir au cœur de cette relation la conscience de sa pauvreté  ; c'est un combat de rester affamé et assoiffé de justice. C'est encore un combat de vouloir établir nos relations avec les autres sur la douceur, la miséricorde. C'est un combat de vouloir être un faiseur de la paix.

Il est bon d'évoquer toutes ces figures. Une Eglise qui perdrait la mémoire des grands amis de Dieu que sont tous les saints, ce serait une Eglise qui finirait par traîner dans la médiocrité et la tristesse.
Il est bon aussi que nous donnions nous-mêmes à l'Eglise d'aujourd'hui les amis de Dieu dont elle a besoin. Pas seulement pour qu'elle puisse un jour s'en souvenir, mais pour que le Royaume des cieux soit à elle, pour qu'elle obtienne la terre promise, pour qu'elle soit rassasiée, pour qu'elle obtienne miséricorde, pour qu'elle voie Dieu.


P. Nicolas Dayez
Homélie pour la Fête de la Toussaint
Maredsous, le 31 octobre 1993






23 octobre 2021

À propos de la Bible

 

LA 

PRIÈRE

DANS LA BIBLE



La Bible n’est pas un livre de prière mais un livre de vie. La prière ne consiste pas en un « exercice » auquel on s’adonne quelques instants chaque jour ou quelques heures par semaine. Elle est la disposition du cœur humain face à Dieu partenaire d’une relation d’amour : le Dieu de l’Alliance, le Dieu de Jésus-Christ. Comme toute relation, celle dont la Bible est l’écho prend des formes variées selon l’expérience de celui qui la vit : joie et bonheur, ou souffrance et malheur. Autant d’expériences qui offrent matière à réflexion sur l’idée que chacun peut se faire du Dieu partenaire de sa foi. 



Le dialogue de la « louange » 

Ainsi conçue, la prière habite la Bible, de la Genèse à l’Apocalypse. Néanmoins, le premier Testament incorpore un livre qui lui est consacré : le livre des Psaumes. Celui-ci ne propose pas un traité théorique mais un ensemble de 150 prières que la Bible hébraïque appelle les « Tehillim » : les « Louanges »¹. Tant s’en faut que toutes soient des louanges au sens que nous donnons à ce mot. La plus grande partie fait résonner des supplications, parfois des invectives, cris de douleur, de révolte ou de repentir. D’autres sont des appels confiants ou des acclamations, chants d’admiration et d’action de grâces, réflexions sur le passé et les leçons à en tirer, le scandale posé par le mal quand il l’emporte sur le bien, ou encore longues méditations sur le don de la parole de Dieu offert aux hommes. Pourquoi alors la Bible hébraïque appelle-t-elle le livre entier « Louanges » ? Parce que toute parole ou pensée humaine adressée à Dieu, quel qu’en soit le contenu, le « loue » véritablement : elle le reconnaît comme un vis-à-vis, capable, par-delà son apparent silence, d’être touché et de répondre. La prière est un dialogue.




Les psaumes, norme de la prière 

La Bible hébraïque comporte trois parties : la Loi, les Prophètes et les Ecrits qui eux-mêmes incluent les Psaumes. Les deux premières parties transmettent la parole que Dieu adresse à son peuple arraché à l’esclavage : la Loi lui dicte les conditions de sa liberté ; les Prophètes redressent ses égarements, le reprennent, l’avertissent, pour le sauver encore et toujours. Les « Écrits », eux, rapportent les paroles humaines qui répondent aux dons de Dieu : prières, réflexions, méditations sur la conduite de la vie et son mystère, le mal et l’amour. Dieu y est toujours impliqué. Les cent cinquante psaumes du psautier, classés par la Bible en cinq livres², présentent la norme de la prière, par analogie aux cinq livres de la Loi. Tout l’enseignement révélé à son sujet s’y rassemble. Comment s’étonner alors que, dès l’origine, l’Église leur ait réservé une place de choix dans sa Liturgie ?




Mystère du mal et règne de Dieu dans le Christ  

Le psautier tout entier est traversé par LA question qui habite nos existences : celle de l’affrontement au mal et à la souffrance. Le mal est présent au-dedans et au dehors ; péché ou adversaire extérieur, nul ni rien ne lui échappe. C’est notre sombre expérience quotidienne. Où est Dieu face à ce mystère accablant ? Nous savons la réponse qu’apporte à cette question la révélation chrétienne. En son Fils incarné, Dieu s’est identifié à l’homme pauvre, écrasé par le malheur. Jésus est le Messie - qui a reçu de Dieu l’onction royale - personnage central du psautier. En tant que tel, il incorpore en lui la destinée de toute l’humanité et la mène à son achèvement. Assumant sa souffrance jusqu’à la mort, il la traverse, dans l’entière dépossession de la confiance et de l’amour. Il instaure par là le règne de Dieu dans le monde. D’un bout à l’autre, le psautier parle du Christ, roi-messie en qui se dénoue le drame du « péché ». Victorieux dans la personne du pécheur repentant ou de l’innocent persécuté, Dieu ne règne pas à la manière des hommes.




La prière du pauvre

Apprendre à prier avec les psaumes, c’est entrer dans cette logique de pauvreté qui domine aussi le Nouveau Testament. La prière de Jésus en témoigne. Qu’il suffise de rappeler l’exultation qu’il lance à son Père quand ses disciples reviennent de leur première mission :  Père, Seigneur du ciel et de la terre, je proclame ta louange : ce que tu as caché aux sages et aux savants, tu l’as révélé aux tout-petits… (Lc 10,21ss). L’instruction sur le « Notre Père » suit de près ce passage, en réponse à la demande : Seigneur, apprends-nous à prier (Lc 11,1ss). Sa prière de pauvre, Jésus l’a non seulement prononcée, enseignée, mais vécue. Cloué à croix, il prononce ces paroles de psaumes : Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? (Mt 23,46 ; Ps 21/22,2), Père, entre tes mains, je remets mon esprit » (Lc 23,46 ; Ps 30/31,6). Jésus meurt dans la déréliction du condamné, mais aussi dans la confiance filiale qui le livre à son Père et annonce sa résurrection.
La prière chrétienne habite cette double réalité : l’incontournable malheur et l’amour donné sans limites, source de vie. Elle établit un pont entre le vécu de chacun et le don de Dieu révélé dans le passé et toujours actuel. Dieu s’offre à nous aujourd’hui comme autrefois. La foi accueille sa venue, prolongeant la grande prière eucharistique adressée au Père, qui fait mémoire de ses bienfaits dans le Christ, les renouvelle chaque jour et unit la louange à la supplication pour tous les hommes.
 
 
Sœur Loyse Morard osb



¹Tehillim : mot hébreu signifiant « louanges ». Son correspondant grec, psalmoi, est un terme musical qui évoque l’action de pincer la corde.

²Respectivement, selon la Bible hébraïque : Ps 1-41 ; Ps 42-72 ; Ps 73-89 ; Ps 90-106 ; Ps 107-150.









14 septembre 2021

À propos de la liturgie

 

14 septembre





« Fête de la Croix Glorieuse »



Tout au long de l’année, la liturgie guide notre réflexion et notre prière à la lumière du déroulement de la vie du Christ. Mais pourquoi célèbre-t-elle la « Croix Glorieuse » à la fin de l’été, à mi-chemin entre Pâques et Noël, comme un écho à l’unique fête de Pâques ? 

Nos fêtes chrétiennes s’enracinent dans les plus anciennes traditions religieuses de l’humanité, habitées par les grands rythmes de la nature et du cosmos. Dans le monde antique, des célébrations axées sur la fécondité soulignent, à chaque pôle de l’année solaire, les deux équinoxes de printemps et d’automne. L’Ancien Testament ne les ignore pas ; il les adopte. À l’équinoxe de printemps, la fête de Pâque coïncide avec le moment où l’équilibre entre le jour et la nuit bascule vers la lumière et où naît l’espoir des premiers fruits de la terre. À l’équinoxe d’automne, au temps des récoltes et des vendanges, la fête s’épanouit en plusieurs célébrations marquées respectivement par la repentance, l’action de grâces et l’adoration : fêtes des Expiations, des Tentes et de la Dédicace du Temple.


      


À Pâque, Israël commémore sa libération de l’esclavage, dont l’événement passé a constitué en quelque sorte sa naissance comme peuple de Dieu. En automne, tout en rappelant le long séjour au désert qui a suivi sa sortie d’Egypte, il rend grâces à Dieu pour le don de la terre promise et pour l’abondance de ses fruits. Il se souvient également du premier temple de Jérusalem bâti et consacré par le roi Salomon, puis détruit par les Babyloniens en 587, et il célèbre surtout l’anniversaire de la dédicace du second temple, dont l’édifice fut reconstruit après soixante-dix ans, au retour de l’exil.

Pour les chrétiens, la fête de Pâques, à l’équinoxe de printemps, constitue le pivot de toute l’année liturgique, en mémoire de la mort et de la résurrection du Christ. Cinquante jours plus tard, la Pentecôte commémore le don de l’Esprit Saint aux apôtres, au moment où Israël fêtait à la fois les premières moissons et le don de la loi à Moïse. Mais c’est à la date du 13 septembre, équinoxe d’automne, qu’en l’année 335 de notre ère, l’empereur Constantin choisit de consacrer l’église qu’il avait fait construire à Jérusalem sur l’emplacement du tombeau vide de Jésus : la basilique du Saint Sépulcre ou de la Résurrection.



La fête de la Croix Glorieuse commémore cette dédicace. Sa coïncidence, hautement symbolique, avec l’antique fête d’automne célébrée par Israël dans l’allégresse et l’action de grâces, nous invite à nous réjouir à notre tour pour les fruits surabondants de la passion, de la mort et de la résurrection du Christ, à les recueillir et à nous en nourrir tout au long de nos vies humaines, dans l’attente du printemps éternel.


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De même que le serpent de bronze fut élevé par Moïse dans le désert, ainsi faut-il que le Fils de l’homme soit élevé, afin que tout homme qui croit obtienne par lui la vie éternelle. Dieu a tant aimé le monde qu’il a donné son Fils unique : ainsi tout homme qui croit en lui ne périra pas, mais il obtiendra la vie éternelle. Car Dieu a envoyé son Fils dans le monde non pas pour condamner le monde, mais pour que, par lui, le monde soit sauvé. (Jn 3,14-17 – évangile de la fête)




L’Écriture le raconte : Au temps de leur errance au désert, quand les Israélites étaient mordus par des serpents brûlants, il leur suffisait, pour rester en vie, de regarder le serpent de bronze dressé par Moïse au sommet d’un mât. (Nb 21,6-9). Aujourd’hui, il nous suffit, pour obtenir la vie éternelle, d’élever notre regard avec foi vers le Christ exalté sur la croix. Au moment où la lumière du soleil commence à décliner, la fête de la Croix glorieuse remet sous nos yeux ce grand mystère de notre salut.


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14 août 2021

À propos de la liturgie

 

Fête
de
l’Assomption

    La fête du 15 août, c’est la fête de ce que nous appelons notre âme. C’est le jour où nous découvrons sa véritable dimension, son véritable espace. Ce n’est pas pour rien que le Cantique de Marie commence par ces mots : Mon âme exalte le Seigneur. 
    Mon âme, dit la Vierge Marie. Mais c’est son corps tout entier qui chante le cantique, c’est sa voix, ce sont ses cordes vocales. Et son corps porte déjà celui qu’elle va mettre au monde et qui fait d’elle la Mère de Dieu, son plus beau titre.
    En contemplant ce qui se passe chez sa cousine Elisabeth, en réalisant ce qui se passe en elle, en entendant la salutation d’Elisabeth, Marie se reconnaît dans tout cela et elle s’exclame : voici mon âme. Comme si le mot était sorti de sa bouche sans qu’elle l’ait voulu, dans un mouvement plus fort qu’elle. C’est comme si tout ce qui est en elle s’élargit tout d’un coup, comme s’il n’y avait plus rien à mesurer, tellement l’espace et le volume sont devenus grands. Il n’y a plus de taille à évaluer : le Puissant fit pour moi des merveilles, Saint est son nom. Il n’y a plus d’âge : toutes les générations me diront bienheureuse. Il n’y a plus le corps et l’âme que nous séparons trop souvent, si pas toujours. Il y a l’âme que tout envahit ; mieux : il y a l’âme qui a tout envahi : le corps, la terre, le ciel. Voilà ce que nous fêtons.

    Mais ne suis-je pas trop naïf, trop ignorant du mal terrible qu’il y a dans le monde, et peut-être même en nous ? La médiocrité existe, la petitesse, la pusillanimité, la souffrance. Bref tout ce qui sépare, tout ce qui fait tomber dans le partiel, tout ce qui casse la réalité et la met en mille morceaux.
    Oui. Bien sûr. Et je suis certainement loin de connaître tout ce que doivent traverser nos contemporains, vous-mêmes ici présents. Mais j’entends aussi l’âme de Marie qui poursuit son cantique : il élève les humbles, il renvoie les riches les mains vides, il comble de biens les affamés, il renverse les puissants de leur trône. Et surtout, surtout, il se souvient de son amour.


    Voilà mon âme, s’exclame toujours Marie. Voilà ce à quoi j’ai accepté de m’exposer. Les grandes âmes acceptent ainsi de s’exposer à la joie qui les remplit et qui les comble ; elles s’exposent aussi à la misère et à la douleur, et alors c’est pour elles l’occasion d’un approfondissement. Voilà l’espace qui mesure l’âme qui n’a plus de mesure. Un espace qui désormais se confond avec la grandeur même de Dieu. Assomption.
    Je disais : la fête de ce que nous appelons notre âme. Une fête, parce que, depuis Pâques, depuis la résurrection du Christ, il n’y a plus de division mortelle. Une fête parce que Marie s’est laissé emporter par le torrent qui a jailli du tombeau de son Fils. Une fête parce que nous voilà invités à nous y exposer, à notre tour. Une fête parce qu’en contemplant tout cela, à notre tour, nous aussi nous nous exclamons : voilà mon âme, voilà mon corps, voilà ma vie. Voilà mon Dieu.

P. Nicolas Dayez

Homélie pour la Fête de l’Assomption

Maredsous, le 15 août 2011






















12 août 2021

À propos de la Bible

 

La liberté

selon la Bible




Être libre, c’est être libéré.

 

La liberté n’est pas un donné figé 
mais un projet divin en devenir.

 
Elle se reçoit et se construit.



Si le mot n’apparaît guère dans l’Ancien Testament sinon au sens politique ou social, le Nouveau Testament présente la liberté comme l’indice même de la nouveauté chrétienne. Son expérience en  tant que libération parcourt toute l’histoire du salut depuis son premier acte, la sortie d’Egypte, jusqu’à son accomplissement dans la Jérusalem d’En-Haut. « Le Dieu que nous avons est un Dieu de délivrances », chante le psaume (Ps 68/67,21). Et saint Paul de déclarer : « C’est pour que nous soyons vraiment libres que le Christ nous a libérés » (Ga 5,1).

La révélation de Dieu comme libérateur

Dieu se manifeste essentiellement comme libérateur. Le récit de l’Exode - libération de l’oppression égyptienne, traversée de la mer, séjour au désert, conclusion de l’Alliance et don de la Loi - constitue, en quelque sorte, l’acte de naissance d’Israël. La Bible entière s’y réfère. Le constat de l’oppression de l’homme par l’homme affecte Dieu au point de le décider à intervenir (Ex 3,7-12). Dieu se révèle à Moïse, il l’envoie et s’engage avec lui : « J’ai vu la misère de mon peuple, j’ai entendu son cri, je connais ses angoisses, je suis descendu pour le délivrer. Maintenant, va, je t’envoie, je serai avec toi ». Tel est le point de départ de la révélation de Dieu dans l’histoire : une situation d’oppression insupportable, à Dieu plus encore qu’aux hommes.
Cette libération initiale est un acte gratuit. Israël ne la demande pas. Il crie parce qu’il souffre. Dieu libre ne supporte pas que l’homme soit asservi par son semblable. Le mot hébreu désignant le pays d’Égypte dérive d’une racine verbale évoquant l’enfermement, l’angoisse et, de là, toute forme d’emprisonnement physique ou moral. L’Égypte dont Dieu veut « faire sortir Israël » n’est pas un lieu géographique mais une situation-type inhumaine, contraire à son projet. Le vrai Dieu n’est pas un tyran. Il ne veut pas d’esclaves mais des partenaires, libres comme lui, pour construire l’histoire avec lui.

Une loi pour rester libre

Ainsi Dieu s’engage-t-il envers son peuple par une alliance, fondée sur le don de sa loi. Les préceptes du décalogue indiquent à Israël le chemin à suivre pour garder sa liberté. L’obéissance à la parole divine, loin de représenter une condition, est plutôt la conséquence de l’alliance, réponse de foi et d’action de grâces à l’initiative de Dieu. La loi divine est gage de liberté. L’observer, c’est demeurer libre, libre de tout assujettissement à un pouvoir absolu sous quelque forme qu’il se présente, pour accueillir le don gratuit du Dieu unique : précisément la liberté.  Idoles, représentations figées des forces cosmiques, manipulables en fonction des besoins, maîtrise absolue du temps et du travail, prétention à l’autosuffisance, qui conduit au refus de l’autre dans sa personne, ses relations et ses biens, représentent autant de formes de tyrannies à fuir, tant en actes qu’en paroles et en intentions (Ex 20,2-17 ; Dt 5,6-21). L’ambition de « connaître le bien et le mal » n’a-t-elle pas été fatale au premier couple humain, dès le début de la création ? Désirer un pouvoir absolu et universel est une impasse qui mène à la mort (Gn 3). 
La tradition prophétique imputera à l’infidélité d’Israël la responsabilité des catastrophes politiques et militaires qui, peu à peu, lui feront perdre sa liberté. À chaque crise, Dieu renouvelle son œuvre de libération, jusqu’à ce que la destruction du temple et l’anéantissement du royaume mette un terme à l’autonomie politique de Juda. Tout au long de son histoire, la prière du peuple de Dieu s’exprime par ce cri qui, sous diverses formes, n’apparaît pas moins de 70 fois au cours du psautier : « Libère-moi ».



La liberté des enfants de Dieu 

Au cours de l’exil à Babylone cependant, l’inspiration d’un lointain disciple du prophète Isaïe laissera entrevoir aux déportés la perspective d’un nouvel exode, mieux, d’une création nouvelle, œuvre de « rachat » qui « fera tomber tous les verrous » (Is 43,14). Un mystérieux « Serviteur » en sera l’instrument choisi par Dieu « pour dire aux prisonniers : sortez » (Is 49,7-9). Plus tard, un autre disciple du même prophète prononce l’oracle que Jésus s’appliquera à lui-même lors de sa première prédication à Nazareth : « L’esprit du Seigneur... m’a envoyé... annoncer aux captifs la libération et aux prisonniers la délivrance » (Is 61,1 ; Lc 4,18). La libération est œuvre messianique ; elle inaugure la réconciliation universelle des derniers temps (Is 35,10 ; 51,11). L’espérance d’Israël est tendue vers elle. À la naissance du Précurseur, son père Zacharie prophétise que « Dieu a visité et racheté son peuple » (Lc 1,68). La venue de Jésus fait advenir le Règne de Dieu ; sa vie, sa mort et sa résurrection réaliseront la délivrance promise. « Si le Fils vous rend libres, réellement, vous serez libres » (Jn 8,36), déclare-t-il à ses contradicteurs.
La liberté chrétienne est un bien eschatologique, obtenu par le sang du Christ en pure grâce et destiné à grandir, par le don de l’Esprit Saint, jusqu’à la délivrance finale. Le chrétien, « fils de Dieu », est libre par définition ; libre et appelé à la liberté. « C’est pour que nous soyons vraiment libres, que le Christ nous a libérés... Ne vous laissez pas remettre sous le joug de l’esclavage », s’exclame saint Paul (Gal 5,1 ; cf. aussi Jn 8,31-36). Au-delà de son expression sociale, loin de tout libertinage, la vraie liberté est avant tout spirituelle, car « la loi de l’Esprit qui donne la vie en Jésus-Christ » libère « ceux qui sont dans le Christ de la loi du péché et de la mort » (Rm 8,2). Concrètement, elle affranchit de l’esclavage de l’égoïsme et de la volonté de puissance, comme de l’assujettissement au jugement d’autrui et aux contraintes extérieures d’une loi prise à la lettre. « Par l’amour, mettez-vous au service les uns des autres, car la loi est accomplie dans l’unique parole : tu aimeras ton prochain comme toi-même » (Ga 5,13ss).  La liberté dans le Christ abolit les différences au profit de l’unité des fils de Dieu : « Il n’y a plus ni Juif, ni Grec, ni esclave, ni homme libre, ni homme, ni femme car tous, vous n’êtes qu’un en Jésus-Christ » (Ga 3,28 ; cf. aussi Col 3,11). Au regard de la foi, même l’esclave est un homme libre (cf. 1 Co 7,22).
Sous l’empire de l’Esprit Saint, le chrétien vit ainsi dans l’espérance d’ « avoir part à la liberté et à la gloire des enfants de Dieu » (Rm 8,18-21), espérance que soutient la dernière demande de sa prière quotidienne: « Délivre-nous du mal » !

                                                                        Sœur Loyse Morard osb


(Paru dans : Dimanche, n° 26, 8 août 2021,
ThéoBel, supplément n° 18, « Libres pour aimer », p.11)