La liberté
selon la Bible
Être
libre, c’est être libéré.
⁂
La liberté n’est pas un donné figé
mais un projet
divin en devenir.
⁂
Elle se reçoit et se construit.
Si le mot n’apparaît
guère dans l’Ancien Testament sinon au sens politique ou social, le Nouveau
Testament présente la liberté comme l’indice même de la nouveauté chrétienne. Son
expérience en tant que libération
parcourt toute l’histoire du salut depuis son premier acte, la sortie d’Egypte,
jusqu’à son accomplissement dans la Jérusalem d’En-Haut. « Le Dieu que
nous avons est un Dieu de délivrances », chante le psaume (Ps 68/67,21). Et
saint Paul de déclarer : « C’est pour que nous soyons vraiment libres
que le Christ nous a libérés » (Ga 5,1).
La révélation de Dieu comme libérateur
Dieu se manifeste
essentiellement comme libérateur. Le récit de l’Exode - libération de
l’oppression égyptienne, traversée de la mer, séjour au désert, conclusion de
l’Alliance et don de la Loi - constitue, en quelque sorte, l’acte de naissance
d’Israël. La Bible entière s’y réfère. Le constat de l’oppression de l’homme
par l’homme affecte Dieu au point de le décider à intervenir (Ex 3,7-12). Dieu
se révèle à Moïse, il l’envoie et s’engage avec lui : « J’ai vu la misère
de mon peuple, j’ai entendu son cri, je connais ses angoisses, je suis descendu
pour le délivrer. Maintenant, va, je t’envoie, je serai avec toi ». Tel
est le point de départ de la révélation de Dieu dans l’histoire : une
situation d’oppression insupportable, à Dieu plus encore qu’aux hommes.
Cette libération
initiale est un acte gratuit. Israël ne la demande pas. Il crie parce
qu’il souffre. Dieu libre ne supporte pas que l’homme soit asservi par son
semblable. Le mot hébreu désignant le pays d’Égypte dérive d’une racine verbale
évoquant l’enfermement, l’angoisse et, de là, toute forme d’emprisonnement
physique ou moral. L’Égypte dont Dieu veut « faire sortir Israël »
n’est pas un lieu géographique mais une situation-type inhumaine, contraire à
son projet. Le vrai Dieu n’est pas un tyran. Il ne veut pas d’esclaves mais des
partenaires, libres comme lui, pour construire l’histoire avec lui.
Une loi pour rester libre
Ainsi Dieu
s’engage-t-il envers son peuple par une alliance, fondée sur le don de sa loi.
Les préceptes du décalogue indiquent à Israël le chemin à suivre pour garder sa
liberté. L’obéissance à la parole divine, loin de représenter une condition,
est plutôt la conséquence de l’alliance, réponse de foi et d’action de grâces à
l’initiative de Dieu. La loi divine est gage de liberté. L’observer, c’est
demeurer libre, libre de tout assujettissement à un pouvoir absolu sous quelque
forme qu’il se présente, pour accueillir le don gratuit du Dieu unique :
précisément la liberté. Idoles, représentations figées des forces
cosmiques, manipulables en fonction des besoins, maîtrise absolue du temps et
du travail, prétention à l’autosuffisance, qui conduit au refus de l’autre dans
sa personne, ses relations et ses biens, représentent autant de formes de tyrannies
à fuir, tant en actes qu’en paroles et en intentions (Ex 20,2-17 ; Dt
5,6-21). L’ambition de « connaître le bien et le mal » n’a-t-elle pas
été fatale au premier couple humain, dès le début de la création ? Désirer
un pouvoir absolu et universel est une impasse qui mène à la mort (Gn 3).
La tradition
prophétique imputera à l’infidélité d’Israël la responsabilité des catastrophes
politiques et militaires qui, peu à peu, lui feront perdre sa liberté. À chaque
crise, Dieu renouvelle son œuvre de libération, jusqu’à ce que la destruction
du temple et l’anéantissement du royaume mette un terme à l’autonomie politique
de Juda. Tout au long de son histoire, la prière du peuple de Dieu s’exprime
par ce cri qui, sous diverses formes, n’apparaît pas moins de 70 fois au
cours du psautier : « Libère-moi ».
La liberté des enfants de Dieu
Au cours de l’exil à
Babylone cependant, l’inspiration d’un lointain disciple du prophète Isaïe
laissera entrevoir aux déportés la perspective d’un nouvel exode, mieux, d’une
création nouvelle, œuvre de « rachat » qui « fera tomber tous
les verrous » (Is 43,14). Un mystérieux « Serviteur » en sera
l’instrument choisi par Dieu « pour dire aux prisonniers : sortez » (Is
49,7-9). Plus tard, un autre disciple du même prophète prononce l’oracle que
Jésus s’appliquera à lui-même lors de sa première prédication à Nazareth :
« L’esprit du Seigneur... m’a envoyé... annoncer aux captifs la libération
et aux prisonniers la délivrance » (Is 61,1 ; Lc 4,18). La libération
est œuvre messianique ; elle inaugure la réconciliation universelle des
derniers temps (Is 35,10 ; 51,11). L’espérance d’Israël est tendue vers
elle. À la naissance du Précurseur, son père Zacharie prophétise que
« Dieu a visité et racheté son peuple » (Lc 1,68). La venue de Jésus
fait advenir le Règne de Dieu ; sa vie, sa mort et sa résurrection
réaliseront la délivrance promise. « Si le Fils vous rend libres,
réellement, vous serez libres » (Jn 8,36), déclare-t-il à ses
contradicteurs.
La liberté chrétienne
est un bien eschatologique, obtenu par le sang du Christ en pure grâce et
destiné à grandir, par le don de l’Esprit Saint, jusqu’à la délivrance finale. Le
chrétien, « fils de Dieu », est libre par définition ; libre et
appelé à la liberté. « C’est pour que nous soyons vraiment libres, que le
Christ nous a libérés... Ne vous laissez pas remettre sous le joug de
l’esclavage », s’exclame saint Paul (Gal 5,1 ; cf. aussi Jn 8,31-36).
Au-delà de son expression sociale, loin de tout libertinage, la vraie liberté
est avant tout spirituelle, car « la loi de l’Esprit qui donne la vie en
Jésus-Christ » libère « ceux qui sont dans le Christ de la loi
du péché et de la mort » (Rm 8,2). Concrètement, elle affranchit de
l’esclavage de l’égoïsme et de la volonté de puissance, comme de
l’assujettissement au jugement d’autrui et aux contraintes extérieures d’une loi
prise à la lettre. « Par l’amour, mettez-vous au service les uns des
autres, car la loi est accomplie dans l’unique parole : tu aimeras ton
prochain comme toi-même » (Ga 5,13ss). La
liberté dans le Christ abolit les différences au profit de l’unité des fils de
Dieu : « Il n’y a plus ni Juif, ni Grec, ni esclave, ni homme libre,
ni homme, ni femme car tous, vous n’êtes qu’un en Jésus-Christ » (Ga 3,28 ;
cf. aussi Col 3,11). Au regard de la foi, même l’esclave est un homme libre
(cf. 1 Co 7,22).
Sous l’empire de
l’Esprit Saint, le chrétien vit ainsi dans l’espérance d’ « avoir part à
la liberté et à la gloire des enfants de Dieu » (Rm 8,18-21), espérance
que soutient la dernière demande de sa prière quotidienne: « Délivre-nous
du mal » !
Sœur Loyse Morard osb
(Paru dans : Dimanche,
n° 26, 8 août 2021,
ThéoBel, supplément n° 18, « Libres pour aimer »,
p.11)
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