21 août 2022

À propos de la Bible

NOUVEAUTÉ


Zachée, 

descend vite ! 

une heureuse rencontre




C’est le titre du recueil d’homélies du Père Nicolas Dayez, ancien abbé de Maredsous décédé le 9 juillet 2021, que viennent de publier les Éditions Saint-Léger.
43 homélies, présentées par le Père Maurice Bogaert moine de Maredsous, sont rassemblées et éditées par Sœur Loyse Morard, bénédictine du Moulin de Maredsous. Toutes commentent le même récit de « l’heureuse rencontre » entre Jésus et le publicain Zachée, et les effets qui s’ensuivirent (Évangile selon saint Luc 19,1-10).

Ces réflexions, reflets de toute une vie, se succèdent au long des ans, en divers lieux et circonstances, depuis le 18 août 1973. Elles se terminent le 14 juillet 2021, jour des funérailles de l’auteur, dont ce dernier avait pris soin de choisir d’avance la lecture évangélique et d’en rédiger l’homélie.


Chacun pourra saisir dans ces pages l’écho d’une expérience personnelle, d’une conviction, d’un désir quotidien et permanent capable de se répercuter à l’infini dans son propre cœur. Ainsi la rencontre de Jésus avec le publicain Zachée continuera à porter ses fruits aujourd’hui, à travers la rencontre de l’auteur et de son lecteur… Souhaitons-le.
Bonne lecture !

Dom Nicolas Dayez osb (1937-2021),
moine de l’abbaye de Maredsous et son septième abbé, continua sa formation musicale au Conservatoire Royal de Bruxelles où il obtint les premiers prix d’harmonie et d’orgue. Licencié en philosophie (Saint-Anselme, Rome), en théologie et en droit canonique (Strasbourg), il est ordonné prêtre en 1967. À la tête de son abbaye depuis 1972, il a présidé pendant trente ans l’anniversaire de la dédicace de l’église abbatiale et bien d’autres célébrations. Ses homélies, toujours nouvelles, étaient écoutées avec plaisir et profit, pas seulement par ses frères moines.









14 août 2022

À propos de la liturgie

 

Fête
de
l’Assomption


Nous continuons à appeler « Magnificat » le cantique de la Vierge Marie. Il a traversé les siècles en gardant toute sa fraîcheur. Comme les Béatitudes, le Notre Père et d’autres textes encore. Quel est le secret de cette fraîcheur ? Y a-t-il moyen de répondre à cette question ?
Il y a tout d’abord le fait que ce texte est tout-à-fait personnel. Il commence par ce qu’on appelait autrefois – peut-être encore aujourd’hui – un adjectif possessif : mon âme, mon esprit, il s’est penché sur moi, humble servante, il a fait pour moi des merveilles. Le « Magnificat » se présente à nous comme une sorte d’autobiographie. Marie nous raconte sa vie, ce qu’elle vit et ce qu’elle traverse, le sens qu’elle donne à tous ces événements. 
Mais attirer ainsi l’attention sur soi, ce serait vite insupportable, s’il n’y avait pas – et tout de suite – le passage à une perspective que nous qualifierions de « mondiale ». Ce qui n’est pas assez dire, et ce qui n’est même pas bien dire. Tous les âges me diront bienheureuse. Nous sommes partis d’une personne concrète, Marie, qu’on peut désigner du doigt. Et sans crier gare, nous passons de suite à un élargissement de ce lien. Marie commence par nous parler à la première personne du singulier, mais elle n’est pas refermée sur elle-même, elle vit et elle communie à tout l’univers, à toute la création, à tous les âges, elle vit aux dimensions de Dieu.

En faisant ainsi, Marie lève pour nous, au moins un peu, le voile du secret de l’éternelle jeunesse de son cantique. Nous n’y pensons peut-être pas assez : le « Magnificat » chante la magnificence. Nous n’utilisons plus beaucoup ce mot pour dire la grandeur de ce que Dieu fait. Marie chante cette grandeur, elle la magnifie. Elle nous dit que Dieu fait cette grandeur avec de la bassesse, comme si on ne pouvait remplir qu’en vidant, comme si on ne pouvait hausser qu’en abaissant, comme si on ne pouvait anoblir qu’en passant par l’ignominie. Dieu le fait depuis toujours et c’est bien pourquoi l’intégrale des générations dira Marie heureuse.
Alors vient la question : est-ce possible qu’une partie de celle qui chante ainsi le « Magnificat » reste en dehors des merveilles de Dieu ? Le Puissant fit pour moi des merveilles : allons-nous mettre une limite à Dieu ? Allons-nous mettre une frontière au-delà de laquelle il n’y a pas d’accès pour la magnificence que Dieu met en œuvre ?
La fête de l’Assomption est la fête de notre réponse à cette question, la fête de la réponse de l’Église. Ce que Marie a chanté, nous le chantons aujourd’hui. Ce que Marie a chanté, l’Église le chante aujourd’hui. Et pour chanter le « Magnificat », il faut une âme que j’oserai dire à la mesure de Dieu. Nous voilà donc invités à quitter toute étroitesse, toute mesquinerie (le contraire de la magnificence), tous ces millimètres avec lesquels nous avons trop tendance à mesurer, même quand il s’agit de Dieu.
La fête de l’Assomption, c’est aussi la fête de la mémoire de Dieu. Et Dieu a une mémoire infaillible. Il se souvient de son amour, de la promesse qu’il a faite à nos pères, en faveur d’Abraham et de sa race à jamais. Voilà finalement le secret de cette jeunesse que j’évoquais en commençant. L’amour peut-il vieillir ? Le nôtre, peut-être, parfois, pas toujours. L’amour de Dieu ne vieillit pas, ne vieillit jamais. Chacune des phrases du chant de Marie vibre de cette constatation, vibre bien davantage de ce que Marie elle-même a accueilli sans réserve, parce que Dieu le lui offrait sans réserve. 
Mon âme exalte le Seigneur. Laissons à notre âme – au moins pour aujourd’hui – la dimension que Dieu lui-même veut lui donner. Laissons-la se dilater. Laissons-la être grande. Laissons-la connaître la magnificence. Laissons-la être jeune. De la jeunesse de Dieu.


P. Nicolas Dayez
Homélie pour la Fête de l’Assomption
Maredsous, le 15 août 2012










10 juillet 2022

À propos de la liturgie

 

11 juillet

SOLENNITÉ DE SAINT BENOÎT 

 



SUIVRE JESUS

Réflexion sur la profession monastique


L’évangile proposé par la liturgie pour la fête de Saint Benoît parle de la profession monastique :

« Pierre prit la parole et dit à Jésus : ‘Voici que nous avons tout quitté pour te suivre, quelle sera donc notre part ?’ Jésus leur déclara : ‘Amen, je vous le dis : lors du renouvellement du monde, lorsque le Fils de l’Homme siégera sur son trône de gloire, vous qui m’avez suivi, vous siégerez, vous aussi sur douze trônes pour juger les douze tribus d’Israël. Et celui qui aura quitté, à cause de mon nom, des maisons, des frères, des sœurs, un père, une mère, des enfants, ou une terre, recevra le centuple, et il aura en héritage la vie éternelle.’ » (Mt 19,27-29)


L’apôtre pose sa question de façon naïve, apparemment un peu intéressée : il voit tout ce qu’il a quitté pour suivre Jésus et il attend la contrepartie. Ses idées s’enchaînent selon un certain ordre. « Suivre Jésus » apparaît en second, comme la transition entre le détachement et la récompense.
 
La réponse de Jésus renverse cet ordre : il s’adresse d’abord à « vous qui m’avez suivi ». Puis il énumère, en général, ce qu’il faut quitter pour le suivre : maisons, frères, sœurs, père, mère, enfants ou terre. La récompense enfin consistera à siéger sur douze trônes pour juger les tribus d’Israël et avoir en héritage la vie éternelle. Propos mystérieux… Mais n’est-il pas significatif que Jésus renverse l’ordre de la question ?


Saint Benoît demande au moine, au jour de sa profession, de « promettre stabilité, conversion des mœurs et obéissance » (Règle c. 58,17). Il termine par l’essentiel. Le novice qui fait le choix de la vie monastique ne pense pas d’abord à ce qu’il quitte mais bien à Celui qu’il veut suivre. C’est l’amour qui permet de tout quitter, et seulement l’amour. « Suivre Jésus » entraîne tout le reste. Voilà l’obéissance que Saint Benoît pose à la base de tout l’itinéraire spirituel, le premier degré de l’échelle de l’humilité. Obéir, c’est suivre quelqu’un qu’on aime, s’attacher à lui, complètement.

Ensuite seulement apparaît ce qu’il faut quitter.  Là, Jésus énumère toutes les formes de possessions : matérielle (maison, terre) et affective (frères, sœurs, père, mère, enfants). La « conversion des mœurs » n’appelle à rien d’autre : être libre à l’égard des richesses matérielles et affectives, « à cause de son nom », à cause de lui Jésus, de sa personne, de son amour, parce que le fait de le suivre est plus précieux et encore plus désirable que tout le reste. Tout ce que l’on peut posséder rencontre une fin, une limite. L’amour, lui, ne supprime rien, il intègre. Ce que l’on quitte n’est jamais si bien honoré que si on le quitte pour un « plus ». Il en reçoit alors un sens et un avenir.


Alors nous comprenons que la récompense promise se présente comme une sorte de « stabilité » : siéger sur douze trônes pour juger les douze tribus d’Israël. Obéir, s’attacher à Jésus, se libérer des entraves qui limitent ou encombrent, permet de « siéger » avec lui, de trouver en lui un point d’appui solide et définitif. De participer, avec lui, au discernement du jugement final. D’entrer, dès maintenant, dans sa lumière et sa liberté. La stabilité est comme la récompense accordée à celui qui obéit et qui se convertit, ce centuple que Jésus promet. À travers elle, jour après jour, l’amour de Dieu nous offre déjà la vie éternelle…

La première question que Saint Benoît nous pose est bien celle-ci : « Quel est l’homme qui désire la vie ? » (Règle, prol. 15) Tout commence par là. Pour lui, la profession monastique n’a pas d’autre but : nous « conduire tous ensemble à la vie éternelle » (Règle c. 72,12). Et quoi de plus stable que la vie éternelle ? Être fidèle à sa profession monastique, c’est entrer dans cette stabilité de Dieu. Ensemble, en suivant Jésus.







 










04 juin 2022

À propos de la liturgie

 PENTECÔTE

Jean 20,19-23


L'Evangile nous montre combien le Christ ressuscité a été soucieux de paix. C'est pratiquement toujours son premier souhait. Il n'a que ce mot-là à la bouche. Ce qui montre combien il a voulu une Eglise qui soit établie sur la paix. Ce qui montre combien il a voulu la même chose pour ceux et celles à qui il allait confier son Eglise. Il n'a pas voulu que les responsables soient des gens au cœur blessé et inquiet, même s'ils ont connu et connaissent leurs faiblesses, comme tout le monde.

Pour souhaiter la paix à quelqu'un, il faut pouvoir surmonter tout ce qui s'oppose à cette paix, tout ce qui est ressentiment, déception, jalousie. Nous aurions tort de croire que le Christ ressuscité n'a rien dû surmonter pour souhaiter la paix à ses disciples, de façon aussi insistante. Il a devant lui des personnes qui ont vécu très proches de lui, qui ont bénéficié largement de son enseignement et de sa présence, qui ont reçu toutes ses faveurs, qui lui ont même proclamé leur fidélité absolue et jusqu'au bout. Et ce sont ces mêmes personnes qui l'ont abandonné au moment où cela devenait difficile et dangereux pour lui, ces mêmes personnes qui l'ont ignoré, qui l'ont renié.

N'importe qui d'entre nous se laisserait envahir par un profond sentiment d'ingratitude. Un sentiment qu'il faut pouvoir surmonter, si on veut souhaiter la paix, de façon sincère, à celui ou ceux qui vous ont abandonné de cette façon-là. C'est ce que fait le Christ ressuscité. Il sait qu'il y va de la vie de son Eglise. Il sait que l'Evangile ne peut pas être vécu en dehors de cette paix profonde. Il sait que, sans cela, il ne peut pas témoigner de la paix qui est en Dieu.
Nous parlons beaucoup de la paix aujourd'hui, parce que nous en ressentons cruellement le besoin. Et nous voudrions beaucoup que l'Eglise, les Eglises, y apportent leur contribution. Non pas en imposant telle ou telle vue politique, mais en aidant les uns et les autres à surmonter ce qui les empêche de se parler sereinement, ce qui les empêche de s'échanger un souhait de paix dans la vérité, ce qui les empêche de reconnaître chez les uns ce que les autres cherchent également.
N'est-ce pas le rôle de l'Esprit-Saint de nous aider à faire ce discernement? Chacun comprend l'autre dans sa langue. Parce que chacun est parvenu à faire taire ce qui l'empêche de parler lui-même de paix, ce qui l'empêche d'entendre parler de paix, ce qui l'empêche de vivre dans la communion qu'apporte la paix.

Pour parler de paix, disait saint François d'Assise, il faut d'abord avoir la paix dans son cœur. C'est le souhait que le Christ nous adresse : La paix soit avec vous ! L'Esprit-Saint nous permettra d'entendre ce souhait, d'accueillir la paix dans notre cœur et de pouvoir alors la partager.



P. Nicolas Dayez

Homélie pour la Pentecôte

Maredsous, 4 mai 1995













25 mai 2022

À propos de la liturgie

 

Ascension

Lc 24,46-53

L’évangile de la fête de l’Ascension se termine sur une note de joie qui nous étonne. Nous n’associons pas spontanément la séparation et la joie, le départ de quelqu’un qu’on aime à la louange… C’est qu’il y a ici un mystère qui nous dépasse et qui cependant nous habite, puisque nous partageons la foi des apôtres et que, nous aussi, nous en témoignons. Comment un absent, un disparu, peut-il remplir notre cœur de joie, notre bouche de louange ?

En fait, cette finale de l’évangile de Luc répond à notre question, parce qu’elle nous livre le sens de ce qui s’est passé. Le départ de Jésus a du sens, autant pour nous que pour lui. « Il fallait que s’accomplisse ce qui était annoncé dans l’Ecriture ». Ce sens englobe tout le passé et il ouvre à tout l’avenir. Le départ de Jésus, tout ce qui a précédé et tout ce qui suivra, est comme inscrit dans le cœur de Dieu. Le départ de Jésus ne laisse pas un vide absurde, gratuit. Au contraire. Il est non seulement voulu et expliqué, mais il prépare, il annonce quelque chose, un quelque chose qui concerne directement les disciples, où ils vont être tout à fait impliqués.

Ce quelque chose, c’est la force venue d’en haut qui leur donnera de témoigner. Témoigner que le Christ a souffert, qu’il est ressuscité et qu’à partir de là, il faut proclamer à tout le monde un changement radical, un retournement dans la situation de l’homme par rapport au mal. Il ne s’agira pas de prêcher une conversion morale ; toutes les religions du monde le font. Il s’agira d’annoncer à tous ce renversement que les apôtres ont d’abord à vivre eux-mêmes : celui que la résurrection opère au plus profond du cœur, dans la manière d’affronter le mal, la mort, la souffrance... et la séparation.

Pour cela, Jésus ne demande pas à ses disciples de se mettre tout de suite en campagne. Mais il leur demande d’attendre, d’accepter un délai. Avant de recevoir ce que le Père a promis, il leur faut, littéralement, s’asseoir, rester là ; non pas sur place n’importe où, mais à Jérusalem. Jérusalem, c’est le lieu où tout a commencé, où tout converge, à partir duquel tout doit se répandre. La mission des apôtres ne peut prendre sa source que là. Avant de diffuser le message, il leur faut plonger profondément dans tout ce que Jésus y a vécu, prendre le temps de se laisser imprégner du mystère de sa pâques. Là, à Jérusalem, une nouvelle présence de Dieu, définitive, a été révélée pour tous les hommes. Pour en témoigner, une préparation est nécessaire : un temps d’ouverture, d’attente, de prière… La « force venue d’en haut » sera comme le fruit porté par la semence que Pâque a jetée dans les cœurs. La semence doit croître et le départ de Jésus est la condition de sa croissance. Il faut toujours à l’amour une distance pour pouvoir grandir et porter du fruit.

Le temps d’attente qui commence aujourd’hui n’est donc pas vide. Il est lourd de toute la force de Dieu qui travaille les cœurs, les nôtres comme ceux des apôtres. La joie vient de là : d’être le creuset de ce travail. Dorénavant un sens définitif est donné à la vie. Quand Jésus bénit ses disciples, il leur lègue ce sens. Emporté auprès de son Père, il sera plus près d’eux qu’il n’a jamais été pendant sa vie terrestre. Ou plutôt, eux seront plus près de lui. Cette bénédiction qu’il leur donne, les comble de joie et ils la rendent à Dieu dans leur louange, dès maintenant. N’est-ce pas à cela que nous sommes appelés, nous aussi, pour accueillir l’Esprit Saint ? Le départ de Jésus annonce une présence plus totale, la séparation est une provocation à la joie d’un plus grand amour.










16 avril 2022

À propos de la liturgie

PÂQUES 

La Semaine Sainte prend une « couleur » spéciale cette année, assombrie par la guerre et les atrocités que les humains se révèlent, toujours et encore, capables de s’imposer les uns aux autres. Peut-on tirer les leçons de l’histoire ?

Pâques est à l’horizon cependant, comme un appel à voir plus loin. Au-delà du silence de la mort, au-delà du vendredi et du samedi saint, il reste l’innommable : « Jésus ayant aimé les siens (…), les aima jusqu’au bout ». Il n’y a pas de mots pour exprimer l’amour. Celui qui est la Parole, « le Verbe fait chair », l’a incarné. Par amour. Et l’amour est plus fort que la haine, « fort comme la mort », s’écrie la bien-aimée du Cantique. Il passe toutes limites. Il vit. Toujours.


Au sommet du temps et de l’histoire, la Pâque de Jésus Christ – sa condamnation, son supplice, sa mort et sa résurrection – a réalisé ce mystère une fois pour toutes. Chaque année, les célébrations pascales font mémoire d’un événement appelé à prendre corps en chacune de nos histoires, personnelles et collectives.

Les angoisses du moment présent en reçoivent sinon leur solution du moins leur sens, celui de l’Espérance qui les habite, les saisit et veut les traverser pour les ouvrir au mystère du Dieu Amour. Seule lumière dans les ténèbres, elle nous est offerte aujourd’hui.

Accueillons-la, pour mieux la partager.



Christ est ressuscité ; 


il est vraiment 


ressuscité ! 




Joyeuse fête de Pâques à tous !


LIRE Saint Benoît au jour le jour




 




01 avril 2022

À propos de la Bible

 

LE
MAL
ET LA
SOUFFRANCE
DANS LA BIBLE

Toute la Bible mène à Pâques. Au long de l’histoire humaine dont elle se fait l’écho, vie et mort se livrent un combat continuel. Non pas, certes, comme le duel de deux adversaires de force égale, mais une tension permanente traverse le monde, la nature, chaque personne, entre l’aspiration à la vie et au bonheur, d’une part, et la réalité du mal, la souffrance et la mort, d’autre part. Dieu n’a pas fait la mort, affirme le livre de la Sagesse (1,13), avant de préciser : C’est par l’envie du Diable que la mort est entrée dans le monde (2,24). Dieu est amour, dira saint Jean... Le recueil des Psaumes, au cœur de l’Ancien Testament, modèle biblique de toute prière, illustre cette tension d’un bout à l’autre. À ses côtés, le livre de Job met en scène de façon saisissante l’affrontement d’un homme au mystère du mal et de la souffrance, tandis que, plus loin, le Cantique des Cantiques célèbre le triomphe de l’amour et de la vie. Les grands problèmes de l’existence humaine sont ainsi exposés au cœur de la Bible, mystère – à la lettre formidable – auquel, croyants ou non, tous sont confrontés.


La Bible s’ouvre par le double récit de la création, fruit de réflexions théologiques d’époques différentes sur le monde et la destinée humaine. Il se dégage de l’un comme de l’autre épisode une vision résolument positive du projet divin, cependant mis en cause par la liberté de l’homme et contrecarré par le mauvais usage que celui-ci en fait. Le narrateur du chapitre 1 de la Genèse ponctue chaque étape de l’œuvre divine par ce refrain, répété six fois : Dieu vit que cela était bon. Un septième constat commente la création du couple humain : Cela était très bon. Néanmoins, selon les chapitres suivants, l’homme et la femme, façonnés par Dieu pour vivre en communion avec lui, cèdent à la séduction du serpent qui les incite à voir, dans l’interdit posé pour les protéger de la mort, un effet de la jalousie divine. Prenant la limite pour une entrave à leur liberté, ils succombent à la tentation de connaître le bien et le mal, c’est-à-dire d’exercer sur toute chose un pouvoir sans réserve. Leur transgression entraîne la rupture de l’harmonie universelle et le déferlement de la violence. Les traditions véhiculées par ces textes reportent aux origines du monde l’explication théologique du mal subi ou commis à l’époque où elles se sont forgées : mensonge, violence, abus de pouvoir... Ces récits ne relèvent pas de l’histoire au sens strict ; ils traduisent une interrogation profonde, enracinée dans l’expérience concrète, sur l’origine et le sens de la vie.

C’est l’oppression de l’homme par l’homme qui déclenchera dans l’histoire le premier acte de la révélation à Israël. Dieu confie à Moïse, rescapé du génocide décrété par le pharaon d’Égypte, la mission de libérer ses congénères hébreux du joug qui les accable. Dieu est toujours libérateur, et libérateur du mal¹. En révélant son nom à son envoyé, il s’engage personnellement dans la mission qu’il lui confie. La joute épique qui s’ensuit entre Moïse et le pharaon symbolise l’affrontement du bien et du mal et la résistance obstinée de celui-ci. Dieu seul en viendra à bout. C’est lui qui, par la médiation de Moïse, fendra les eaux de la mer pour y faire passer les Hébreux à pied sec, avant d’y engloutir les troupes du pharaon lancées à leur poursuite. Il reproduira ainsi l’acte créateur de séparation d’où va naître son peuple. Au Sinaï, Dieu conclut avec Israël une Alliance, garantie par la Loi qu’il lui donne. Les dix commandements, loin de représenter une contrainte, sont autant d’indications destinées à protéger sa liberté. Tous peuvent se ramener à l’interdit de l’idolâtrie, esclavage du « moi » qui se préfère à « l’autre », sous toutes les formes du pouvoir et de la possession. À observer la Loi, chacun se gardera et du mal et du malheur.


Le séjour au désert est pour Israël à la fois une grâce et une épreuve destinée à vérifier sa foi : grâce d’intimité avec Dieu, épreuve de ses exigences. Au désert, comme plus tard en Terre promise jusqu’à l’exil à Babylone, le peuple ne résistera pas à l’épreuve. Il cédera régulièrement à la tentation de l’idolâtrie. À chaque génération, les prophètes dénonceront ce mal comme un péché et les rédacteurs de l’histoire biblique y verront la cause des souffrances de l’exil. Loin de la Terre Promise, Israël devra expier ses égarements. Ainsi la souffrance sera-t-elle longtemps comprise comme un châtiment, tandis que, avant comme après l’exil, les sacrifices sont offerts au Temple pour la purification des péchés.

C’est le prophète Jérémie qui, à la lumière de son expérience personnelle, attribue à la souffrance, pour la première fois, un sens positif. Celle-ci, aussi amère soit-elle, appartient à sa vocation prophétique et lui dévoile le cœur de Dieu. Dieu souffre avec Israël, comme un époux abandonné qui, irrésistiblement, pardonne à la femme qu’il aime. Au terme de l’anéantissement du peuple, il « créera du nouveau sur la terre » et conclura avec les siens « une Alliance nouvelle » en inscrivant sa Loi sur leur cœur (Jr 31,22.33). Jérémie entrevoit la mystérieuse fécondité de la souffrance et de la mort bien au-delà de l’interprétation morale qui réduisait leur sens à celui d’une punition.


L’auteur du livre de Job développe une contestation radicale de la même interprétation. Job n’a pas péché ; il le clame vigoureusement à la face d’amis moralistes qui l’exhortent au repentir. Il n’hésite pas à prendre Dieu lui-même à partie pour lui reprocher le malheur dont il l’accuse d’être responsable. Contre toute attente, Dieu justifiera les propos de Job et celui-ci pourra s’exclame : Je ne te connaissais que par ouï-dire mais maintenant mes yeux t’ont vu ! (Jb 42,5) L’expérience de la souffrance dessille le regard sur le mystère de Dieu.

À la fin de l’exil, un lointain disciple d’Isaïe chante la création nouvelle dont le mystérieux Serviteur de Dieu sera l’agent. À la fois roi, prophète, sage et prêtre, celui-ci porte tous les traits du messie futur². Le Nouveau Testament puisera dans les poèmes qui le décrivent de quoi exprimer le drame pascal. Le Serviteur écrasé par la souffrance accomplit sa mission sacerdotale en se livrant lui-même à la mort, chargé du péché des multitudes. Son quatrième Chant appartient à la liturgie de la Semaine Sainte. Il porte au sommet la réflexion biblique sur le sens du mal et de la souffrance. Ceux-ci, loin d’être voulus ni imposés par Dieu, s’intègrent pleinement dans son projet d’amour, projet que Jésus de Nazareth accomplira dans l’œuvre du salut où l’humanité est recréée. Dieu a tant aimé le monde qu’il a donné son Fils unique… (Jn 3,16).

Sr Loyse Morard osb 



1 Plus qu’un lieu géographique et comme le montre l’étymologie de son nom en hébreu, l’Égypte est le symbole du resserrement, de l’angoisse, de la servitude.

2 Cf. Is 42,1-9 ; 49,1-7 ; 50,4-11 ; 52,13-53,12.








09 février 2022

À propos de la liturgie


10 février


Sainte Scholastique

« Marthe et Marie »
(Luc 10, 38-42)


Marthe ne connaissait évidemment pas le mot de sainte Thérèse d’Avila, qui affirmait que le Christ pouvait être trouvé au fond des casseroles. Peut-être que Marie en a l’intuition ! Elle se dit que sa sœur pourra bien trouver Jésus dans sa cuisine, comme elle le trouve en s’asseyant devant lui et en se laissant enseigner par lui. C’est de toute façon une part qui ne peut être enlevée. Le Verbe de Dieu fait chair, l’incarnation du Fils de Dieu, le partage qu’il a fait de notre existence, son ministère que les Évangiles nous retracent, sa mort et sa résurrection : tout cela ne peut nous être enlevé, si nous voulons bien nous y attacher nous-mêmes. 

Cette page nous dit que c’est possible de s’attacher à la personne de Jésus, c’est possible de se laisser enseigner par lui, c’est possible d’avoir avec lui une relation intime, c’est possible de le laisser venir chez nous, de le laisser entrer chez nous, de le recevoir avec toutes les attentions qu’on met à recevoir quelqu’un qu’on aime. S’il est véritable, l’amour ne peut pas nous être enlevé.
 
Nous n’avons aucun orgueil à tirer de la meilleure part. Marie a choisi la meilleure part. Marie a choisi de recevoir la meilleure part puisqu’elle lui est offerte. Marie a choisi de se laisser habiter par ce qu’il y a de meilleur dans le Christ. Ce qu’il y a de meilleur dans le Christ ressuscité ne peut lui être enlevé, ne peut nous être enlevé. Prenez et mangez, nous dit-il encore. Prenez et buvez. Mon corps livré pour vous, c’est la meilleure part de moi-même. Elle ne vous sera pas enlevée.


P. Nicolas Dayez,

Homélie pour la fête de Sainte Scholastique

Maredsous, 10 février 2021