31 octobre 2021

À propos de la liturgie

La

Toussaint

Aujourd'hui, nous sommes concrètement ceux à qui les Béatitudes sont destinées. C'est nous qui les lisons. C'est à nous qu'elles s'adressent. La manière dont elles sont formulées ne doit pas nous faire illusion, nous laisser oublier la situation concrète de ceux à qui s'adressent ces mots répétés comme un refrain : Heureux...! Notre situation concrète, puisqu'il s'agit de nous.
Les Béatitudes s'adressent à tous ceux qui sont plutôt mal partis dans l'existence, ceux qui ont vécu ou vivent des expériences difficiles, ceux qui se sont cognés à la rigueur et la dureté de la vie, ceux qui ont vécu ces situations limites par lesquelles tout le monde passe nécessairement d'une manière ou d'une autre, un jour ou l'autre.

Les pauvres, ce sont ceux qui font l'expérience de tous ces vides qu'on peut ressentir à propos de soi-même, des autres, du monde ; chaque fois qu'on éprouve sa misère, sa fragilité, de quelque ordre qu'elle soit. Les doux, les miséricordieux, les artisans de paix, ce sont ceux qui se manifestent de cette façon-là dans des situations où ce n'est pas cette réaction-là qu'on a spontanément. Nous avons tous des expériences de ce que nous avons pu vivre difficilement dans le domaine des relations avec les autres : quand les relations deviennent un peu tendues, on est toujours tenté d'être agressif, de vouloir venger l'offense qu'on a subie, d'entretenir les inimitiés. Les doux maintiennent la douceur, là où nous cultivons plutôt la dureté ; les miséricordieux maintiennent le pardon, là où nous cultivons plutôt la mémoire de ce qui a pu nous blesser; les artisans de paix font tout pour que la paix puisse placer son mot, là où nous voulons plutôt lui fermer la bouche.



Il est bon d'évoquer tous ceux et celles qui ont soutenu ce combat. Parce que c'est un réel combat d'entrer en relation avec Dieu et de maintenir au cœur de cette relation la conscience de sa pauvreté  ; c'est un combat de rester affamé et assoiffé de justice. C'est encore un combat de vouloir établir nos relations avec les autres sur la douceur, la miséricorde. C'est un combat de vouloir être un faiseur de la paix.

Il est bon d'évoquer toutes ces figures. Une Eglise qui perdrait la mémoire des grands amis de Dieu que sont tous les saints, ce serait une Eglise qui finirait par traîner dans la médiocrité et la tristesse.
Il est bon aussi que nous donnions nous-mêmes à l'Eglise d'aujourd'hui les amis de Dieu dont elle a besoin. Pas seulement pour qu'elle puisse un jour s'en souvenir, mais pour que le Royaume des cieux soit à elle, pour qu'elle obtienne la terre promise, pour qu'elle soit rassasiée, pour qu'elle obtienne miséricorde, pour qu'elle voie Dieu.


P. Nicolas Dayez
Homélie pour la Fête de la Toussaint
Maredsous, le 31 octobre 1993






23 octobre 2021

À propos de la Bible

 

LA 

PRIÈRE

DANS LA BIBLE



La Bible n’est pas un livre de prière mais un livre de vie. La prière ne consiste pas en un « exercice » auquel on s’adonne quelques instants chaque jour ou quelques heures par semaine. Elle est la disposition du cœur humain face à Dieu partenaire d’une relation d’amour : le Dieu de l’Alliance, le Dieu de Jésus-Christ. Comme toute relation, celle dont la Bible est l’écho prend des formes variées selon l’expérience de celui qui la vit : joie et bonheur, ou souffrance et malheur. Autant d’expériences qui offrent matière à réflexion sur l’idée que chacun peut se faire du Dieu partenaire de sa foi. 



Le dialogue de la « louange » 

Ainsi conçue, la prière habite la Bible, de la Genèse à l’Apocalypse. Néanmoins, le premier Testament incorpore un livre qui lui est consacré : le livre des Psaumes. Celui-ci ne propose pas un traité théorique mais un ensemble de 150 prières que la Bible hébraïque appelle les « Tehillim » : les « Louanges »¹. Tant s’en faut que toutes soient des louanges au sens que nous donnons à ce mot. La plus grande partie fait résonner des supplications, parfois des invectives, cris de douleur, de révolte ou de repentir. D’autres sont des appels confiants ou des acclamations, chants d’admiration et d’action de grâces, réflexions sur le passé et les leçons à en tirer, le scandale posé par le mal quand il l’emporte sur le bien, ou encore longues méditations sur le don de la parole de Dieu offert aux hommes. Pourquoi alors la Bible hébraïque appelle-t-elle le livre entier « Louanges » ? Parce que toute parole ou pensée humaine adressée à Dieu, quel qu’en soit le contenu, le « loue » véritablement : elle le reconnaît comme un vis-à-vis, capable, par-delà son apparent silence, d’être touché et de répondre. La prière est un dialogue.




Les psaumes, norme de la prière 

La Bible hébraïque comporte trois parties : la Loi, les Prophètes et les Ecrits qui eux-mêmes incluent les Psaumes. Les deux premières parties transmettent la parole que Dieu adresse à son peuple arraché à l’esclavage : la Loi lui dicte les conditions de sa liberté ; les Prophètes redressent ses égarements, le reprennent, l’avertissent, pour le sauver encore et toujours. Les « Écrits », eux, rapportent les paroles humaines qui répondent aux dons de Dieu : prières, réflexions, méditations sur la conduite de la vie et son mystère, le mal et l’amour. Dieu y est toujours impliqué. Les cent cinquante psaumes du psautier, classés par la Bible en cinq livres², présentent la norme de la prière, par analogie aux cinq livres de la Loi. Tout l’enseignement révélé à son sujet s’y rassemble. Comment s’étonner alors que, dès l’origine, l’Église leur ait réservé une place de choix dans sa Liturgie ?




Mystère du mal et règne de Dieu dans le Christ  

Le psautier tout entier est traversé par LA question qui habite nos existences : celle de l’affrontement au mal et à la souffrance. Le mal est présent au-dedans et au dehors ; péché ou adversaire extérieur, nul ni rien ne lui échappe. C’est notre sombre expérience quotidienne. Où est Dieu face à ce mystère accablant ? Nous savons la réponse qu’apporte à cette question la révélation chrétienne. En son Fils incarné, Dieu s’est identifié à l’homme pauvre, écrasé par le malheur. Jésus est le Messie - qui a reçu de Dieu l’onction royale - personnage central du psautier. En tant que tel, il incorpore en lui la destinée de toute l’humanité et la mène à son achèvement. Assumant sa souffrance jusqu’à la mort, il la traverse, dans l’entière dépossession de la confiance et de l’amour. Il instaure par là le règne de Dieu dans le monde. D’un bout à l’autre, le psautier parle du Christ, roi-messie en qui se dénoue le drame du « péché ». Victorieux dans la personne du pécheur repentant ou de l’innocent persécuté, Dieu ne règne pas à la manière des hommes.




La prière du pauvre

Apprendre à prier avec les psaumes, c’est entrer dans cette logique de pauvreté qui domine aussi le Nouveau Testament. La prière de Jésus en témoigne. Qu’il suffise de rappeler l’exultation qu’il lance à son Père quand ses disciples reviennent de leur première mission :  Père, Seigneur du ciel et de la terre, je proclame ta louange : ce que tu as caché aux sages et aux savants, tu l’as révélé aux tout-petits… (Lc 10,21ss). L’instruction sur le « Notre Père » suit de près ce passage, en réponse à la demande : Seigneur, apprends-nous à prier (Lc 11,1ss). Sa prière de pauvre, Jésus l’a non seulement prononcée, enseignée, mais vécue. Cloué à croix, il prononce ces paroles de psaumes : Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? (Mt 23,46 ; Ps 21/22,2), Père, entre tes mains, je remets mon esprit » (Lc 23,46 ; Ps 30/31,6). Jésus meurt dans la déréliction du condamné, mais aussi dans la confiance filiale qui le livre à son Père et annonce sa résurrection.
La prière chrétienne habite cette double réalité : l’incontournable malheur et l’amour donné sans limites, source de vie. Elle établit un pont entre le vécu de chacun et le don de Dieu révélé dans le passé et toujours actuel. Dieu s’offre à nous aujourd’hui comme autrefois. La foi accueille sa venue, prolongeant la grande prière eucharistique adressée au Père, qui fait mémoire de ses bienfaits dans le Christ, les renouvelle chaque jour et unit la louange à la supplication pour tous les hommes.
 
 
Sœur Loyse Morard osb



¹Tehillim : mot hébreu signifiant « louanges ». Son correspondant grec, psalmoi, est un terme musical qui évoque l’action de pincer la corde.

²Respectivement, selon la Bible hébraïque : Ps 1-41 ; Ps 42-72 ; Ps 73-89 ; Ps 90-106 ; Ps 107-150.