LA
PRIÈRE
DANS LA
BIBLE
La Bible n’est pas un livre de prière mais un livre de vie. La prière ne
consiste pas en un « exercice » auquel on s’adonne quelques instants
chaque jour ou quelques heures par semaine. Elle est la disposition du cœur
humain face à Dieu partenaire d’une relation d’amour : le Dieu de
l’Alliance, le Dieu de Jésus-Christ. Comme toute relation, celle dont la Bible
est l’écho prend des formes variées selon l’expérience de celui qui la
vit : joie et bonheur, ou souffrance et malheur. Autant d’expériences qui
offrent matière à réflexion sur l’idée que chacun peut se faire du Dieu
partenaire de sa foi.
Le dialogue de la « louange »
Ainsi conçue, la prière habite la Bible, de la Genèse à l’Apocalypse.
Néanmoins, le premier Testament incorpore un livre qui lui est consacré :
le livre des Psaumes. Celui-ci ne propose pas un traité théorique mais un
ensemble de 150 prières que la Bible hébraïque appelle les
« Tehillim » : les « Louanges »¹. Tant s’en faut que toutes soient des louanges au sens que nous donnons
à ce mot. La plus grande partie fait résonner des supplications, parfois des
invectives, cris de douleur, de révolte ou de repentir. D’autres sont des
appels confiants ou des acclamations, chants d’admiration et d’action de
grâces, réflexions sur le passé et les leçons à en tirer, le scandale posé par
le mal quand il l’emporte sur le bien, ou encore longues méditations sur le don
de la parole de Dieu offert aux hommes. Pourquoi alors la Bible hébraïque
appelle-t-elle le livre entier « Louanges » ? Parce que toute
parole ou pensée humaine adressée à Dieu, quel qu’en soit le contenu, le
« loue » véritablement : elle le reconnaît comme un vis-à-vis,
capable, par-delà son apparent silence, d’être touché et de répondre. La prière
est un dialogue.
Les psaumes, norme de la prière
La Bible hébraïque comporte trois parties : la Loi, les Prophètes
et les Ecrits qui eux-mêmes incluent les Psaumes. Les deux premières parties
transmettent la parole que Dieu adresse à son peuple arraché à
l’esclavage : la Loi lui dicte les conditions de sa liberté ; les
Prophètes redressent ses égarements, le reprennent, l’avertissent, pour le
sauver encore et toujours. Les « Écrits », eux, rapportent les
paroles humaines qui répondent aux dons de Dieu : prières, réflexions,
méditations sur la conduite de la vie et son mystère, le mal et l’amour. Dieu y
est toujours impliqué. Les cent cinquante psaumes du psautier, classés par la
Bible en cinq livres², présentent la norme de la prière, par analogie aux cinq livres de la
Loi. Tout l’enseignement révélé à son sujet s’y rassemble. Comment s’étonner
alors que, dès l’origine, l’Église leur ait réservé une place de choix dans sa
Liturgie ?
Mystère du mal et règne de Dieu dans le Christ
Le psautier tout entier est traversé par LA question qui habite nos
existences : celle de l’affrontement au mal et à la souffrance. Le mal est
présent au-dedans et au dehors ; péché ou adversaire extérieur, nul ni
rien ne lui échappe. C’est notre sombre expérience quotidienne. Où est Dieu
face à ce mystère accablant ? Nous savons la réponse qu’apporte à cette
question la révélation chrétienne. En son Fils incarné, Dieu s’est identifié à
l’homme pauvre, écrasé par le malheur. Jésus est le Messie - qui a reçu de Dieu
l’onction royale - personnage central du psautier. En tant que tel, il
incorpore en lui la destinée de toute l’humanité et la mène à son achèvement.
Assumant sa souffrance jusqu’à la mort, il la traverse, dans l’entière
dépossession de la confiance et de l’amour. Il instaure par là le règne de Dieu
dans le monde. D’un bout à l’autre, le psautier parle du Christ, roi-messie en
qui se dénoue le drame du « péché ». Victorieux dans la personne du
pécheur repentant ou de l’innocent persécuté, Dieu ne règne pas à la manière
des hommes.
La prière du pauvre
Apprendre à prier avec les psaumes, c’est entrer dans cette logique de
pauvreté qui domine aussi le Nouveau Testament. La prière de Jésus en témoigne.
Qu’il suffise de rappeler l’exultation qu’il lance à son Père quand ses
disciples reviennent de leur première mission : Père, Seigneur du
ciel et de la terre, je proclame ta louange : ce que tu as caché aux sages
et aux savants, tu l’as révélé aux tout-petits… (Lc 10,21ss).
L’instruction sur le « Notre Père » suit de près ce passage, en
réponse à la demande : Seigneur, apprends-nous à prier (Lc 11,1ss). Sa
prière de pauvre, Jésus l’a non seulement prononcée, enseignée, mais vécue.
Cloué à croix, il prononce ces paroles de psaumes : Mon Dieu, mon Dieu,
pourquoi m’as-tu abandonné ? (Mt 23,46 ; Ps 21/22,2),
Père, entre tes mains, je remets mon esprit » (Lc 23,46 ; Ps
30/31,6). Jésus meurt dans la déréliction du condamné, mais aussi dans la
confiance filiale qui le livre à son Père et annonce sa résurrection.
La prière chrétienne habite cette double réalité : l’incontournable
malheur et l’amour donné sans limites, source de vie. Elle établit un pont
entre le vécu de chacun et le don de Dieu révélé dans le passé et toujours
actuel. Dieu s’offre à nous aujourd’hui comme autrefois. La foi accueille sa
venue, prolongeant la grande prière eucharistique adressée au Père, qui fait
mémoire de ses bienfaits dans le Christ, les renouvelle chaque jour et unit la
louange à la supplication pour tous les hommes.
Sœur Loyse Morard osb
¹Tehillim :
mot hébreu signifiant « louanges ». Son correspondant grec, psalmoi, est un terme musical qui évoque
l’action de pincer la corde.
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