LE
MAL
ET LA
SOUFFRANCE
DANS LA BIBLE
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Toute la Bible mène à
Pâques. Au long de l’histoire humaine dont elle se fait l’écho, vie et mort se
livrent un combat continuel. Non pas, certes, comme le duel de deux adversaires
de force égale, mais une tension permanente traverse le monde, la nature, chaque
personne, entre l’aspiration à la vie et au bonheur, d’une part, et la réalité
du mal, la souffrance et la mort, d’autre part. Dieu n’a pas fait la mort,
affirme le livre de la Sagesse (1,13), avant de préciser : C’est par
l’envie du Diable que la mort est entrée dans le monde (2,24). Dieu est
amour, dira saint Jean... Le recueil des Psaumes, au cœur de
l’Ancien Testament, modèle biblique de toute prière, illustre cette tension
d’un bout à l’autre. À ses côtés, le livre de Job met en scène de façon
saisissante l’affrontement d’un homme au mystère du mal et de la souffrance,
tandis que, plus loin, le Cantique des Cantiques célèbre le triomphe de
l’amour et de la vie. Les grands problèmes de l’existence humaine sont ainsi
exposés au cœur de la Bible, mystère – à la lettre formidable – auquel,
croyants ou non, tous sont confrontés.
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La Bible s’ouvre par
le double récit de la création, fruit de réflexions théologiques d’époques
différentes sur le monde et la destinée humaine. Il se dégage de l’un comme de
l’autre épisode une vision résolument positive du projet divin, cependant mis
en cause par la liberté de l’homme et contrecarré par le mauvais usage que
celui-ci en fait. Le narrateur du chapitre 1 de la Genèse ponctue chaque
étape de l’œuvre divine par ce refrain, répété six fois : Dieu vit que
cela était bon. Un septième constat commente la création du couple
humain : Cela était très bon. Néanmoins, selon les chapitres
suivants, l’homme et la femme, façonnés par Dieu pour vivre en communion avec
lui, cèdent à la séduction du serpent qui les incite à voir, dans l’interdit
posé pour les protéger de la mort, un effet de la jalousie divine. Prenant la
limite pour une entrave à leur liberté, ils succombent à la tentation de connaître
le bien et le mal, c’est-à-dire d’exercer sur toute chose un pouvoir sans
réserve. Leur transgression entraîne la rupture de l’harmonie universelle et le
déferlement de la violence. Les traditions véhiculées par ces textes reportent
aux origines du monde l’explication théologique du mal subi ou commis à
l’époque où elles se sont forgées : mensonge, violence, abus de pouvoir...
Ces récits ne relèvent pas de l’histoire au sens strict ; ils traduisent une
interrogation profonde, enracinée dans l’expérience concrète, sur l’origine et
le sens de la vie.
C’est l’oppression de
l’homme par l’homme qui déclenchera dans l’histoire le premier acte de la
révélation à Israël. Dieu confie à Moïse, rescapé du génocide décrété par le
pharaon d’Égypte, la mission de libérer ses congénères hébreux du joug qui les
accable. Dieu est toujours libérateur, et libérateur du mal¹. En
révélant son nom à son envoyé, il s’engage personnellement dans la mission
qu’il lui confie. La joute épique qui s’ensuit entre Moïse et le pharaon
symbolise l’affrontement du bien et du mal et la résistance obstinée de
celui-ci. Dieu seul en viendra à bout. C’est lui qui, par la médiation de
Moïse, fendra les eaux de la mer pour y faire passer les Hébreux à pied sec,
avant d’y engloutir les troupes du pharaon lancées à leur poursuite. Il
reproduira ainsi l’acte créateur de séparation d’où va naître son peuple.
Au Sinaï, Dieu conclut avec Israël une Alliance, garantie par la Loi qu’il lui
donne. Les dix commandements, loin de représenter une contrainte, sont autant
d’indications destinées à protéger sa liberté. Tous peuvent se ramener à
l’interdit de l’idolâtrie, esclavage du « moi » qui se préfère à
« l’autre », sous toutes les formes du pouvoir et de la possession. À
observer la Loi, chacun se gardera et du mal et du malheur.
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Le séjour au désert
est pour Israël à la fois une grâce et une épreuve destinée à vérifier sa foi :
grâce d’intimité avec Dieu, épreuve de ses exigences. Au désert, comme plus
tard en Terre promise jusqu’à l’exil à Babylone, le peuple ne résistera pas à
l’épreuve. Il cédera régulièrement à la tentation de l’idolâtrie. À chaque
génération, les prophètes dénonceront ce mal comme un péché et les rédacteurs
de l’histoire biblique y verront la cause des souffrances de l’exil. Loin de la
Terre Promise, Israël devra expier ses égarements. Ainsi la souffrance sera-t-elle
longtemps comprise comme un châtiment, tandis que, avant comme après l’exil,
les sacrifices sont offerts au Temple pour la purification des péchés.
C’est le prophète
Jérémie qui, à la lumière de son expérience personnelle, attribue à la
souffrance, pour la première fois, un sens positif. Celle-ci, aussi amère
soit-elle, appartient à sa vocation prophétique et lui dévoile le cœur de Dieu.
Dieu souffre avec Israël, comme un époux abandonné qui, irrésistiblement,
pardonne à la femme qu’il aime. Au terme de l’anéantissement du peuple, il
« créera du nouveau sur la terre » et conclura avec les siens
« une Alliance nouvelle » en inscrivant sa Loi sur leur cœur (Jr
31,22.33). Jérémie entrevoit la mystérieuse fécondité de la souffrance et
de la mort bien au-delà de l’interprétation morale qui réduisait leur sens à
celui d’une punition.
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L’auteur du livre de Job
développe une contestation radicale de la même interprétation. Job n’a pas
péché ; il le clame vigoureusement à la face d’amis moralistes qui
l’exhortent au repentir. Il n’hésite pas à prendre Dieu lui-même à partie pour
lui reprocher le malheur dont il l’accuse d’être responsable. Contre toute
attente, Dieu justifiera les propos de Job et celui-ci pourra s’exclame : Je
ne te connaissais que par ouï-dire mais maintenant mes yeux t’ont vu !
(Jb 42,5) L’expérience de la souffrance dessille le regard sur le
mystère de Dieu.
À la fin de l’exil,
un lointain disciple d’Isaïe chante la création nouvelle dont le mystérieux Serviteur de
Dieu sera l’agent. À la fois roi, prophète, sage et prêtre, celui-ci porte tous
les traits du messie futur². Le Nouveau Testament puisera dans les
poèmes qui le décrivent de quoi exprimer le drame pascal. Le Serviteur écrasé
par la souffrance accomplit sa mission sacerdotale en se livrant
lui-même à la mort, chargé du péché des multitudes. Son quatrième
Chant appartient à la liturgie de la Semaine Sainte. Il porte au sommet la
réflexion biblique sur le sens du mal et de la souffrance. Ceux-ci, loin d’être
voulus ni imposés par Dieu, s’intègrent pleinement dans son projet d’amour,
projet que Jésus de Nazareth accomplira dans l’œuvre du salut où l’humanité est
recréée. Dieu a tant aimé le monde qu’il a donné son Fils unique… (Jn
3,16).
Sr Loyse Morard osb
1 Plus qu’un lieu géographique et comme le montre
l’étymologie de son nom en hébreu, l’Égypte est le symbole du resserrement, de
l’angoisse, de la servitude.
2 Cf. Is 42,1-9 ; 49,1-7 ;
50,4-11 ; 52,13-53,12.
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