FÊTE DE LA TOUSSAINT
Matthieu 5, 1-12a
Les Saints et Saintes que nous fêtons aujourd’hui nous invitent à
lire les Béatitudes d’une seule traite, sans les couper en deux, sans y
introduire le dualisme qui marque si souvent, peut-être même toujours, notre
pensée. Il n’y a pas ici deux volets, l’un pour aujourd’hui, pour maintenant,
l’autre pour après, pour le futur, pour le ciel. Heureux les pauvres de cœur,
voilà ce qui serait pour aujourd’hui ; le royaume des cieux est à eux,
voilà qui serait pour demain. Nous devons faire un réel effort pour ne pas en
rester à une telle lecture des Béatitudes. Une telle lecture nous empêche de
comprendre quelle sainteté nous célébrons aujourd’hui, nous empêche tout
simplement de comprendre qui est Dieu.
Le Royaume des cieux est à eux, lisons-nous. Eux, les pauvres de cœur.
Mais si Dieu est celui qui nous ouvre les portes de ce royaume, si Dieu est
lui-même ce royaume auquel il nous fait communier, Dieu ne doit-il pas être
lui-même pauvre de cœur ? Dieu n’est-il pas lui-même pauvre de cœur,
puisque le royaume des cieux est à lui ? Les saints et les saintes
sont ceux et celles qui ont vécu dans cette conviction. Ils ont lu cette
première Béatitude d’un seul tenant, d’une seule traite, d’une seule phrase. Ils
ont vécu cette pauvreté de cœur qui les tenait déjà près de Dieu et qui les
tient aujourd’hui tout près de Dieu, parce qu’ils ont et parce qu’ils ont
toujours, comme Dieu, un cœur de pauvre.
Que Dieu soit pauvre de cœur, il nous l’a bien montré en son Fils Jésus,
venu dans notre monde. Saint Paul le dit d’une manière tout-à-fait remarquable.
Jésus, le Christ, Fils de Dieu, est allé jusqu’à toute extrémité, en
s’anéantissant lui-même, prenant la condition d’esclave. Y a-t-il moyen d’être
plus pauvre de cœur ? Et saint Paul de poursuivre : il est encore
allé plus loin, en s’abaissant jusqu’à la mort de la croix. Et cela lui a valu
de partager la gloire de son Père, autrement dit, la gloire qui se trouve dans
le royaume des cieux.
Ce Jésus souverainement exalté, c’est bien celui qui s’est fait pauvre
pour nous enrichir par sa pauvreté. Et c’est bien ce qui nous fait lire cette
Béatitude sans y introduire aucune division que ce soit. Dieu lui-même reste
pauvre de cœur quand le royaume des cieux est à lui. Nous voilà à l’intime le
plus intime de la sainteté de Dieu. Nous voilà à ce point exact où se vit la
sainteté de ceux et celles que nous célébrons aujourd’hui. Nous voilà à ce
carrefour où pauvreté de cœur et grandeur du royaume des cieux ne font qu’un.
Voici un appel puissant à vivre nous-mêmes de la sainteté de Dieu. Soyez
saints, comme je suis saint, nous dit Dieu dans l’Écriture. Qu’est-ce à dire,
sinon qu’il faut désirer la sainteté, qu’il faut même la vouloir, mais la
vouloir à l’image de Celui qui nous invite de cette manière. Une sainteté où la
pauvreté du cœur n’existe que pour le royaume des cieux, où le royaume des
cieux se confond avec la pauvreté du cœur, où le Christ mort et ressuscité
reste Celui qui attire les regards et attire à la communion.
Heureux
ce Dieu au cœur de pauvre, heureux ce royaume où la pauvreté fait la richesse
de ses habitants, heureuse Église si elle peut elle-même anticiper la communion
qui fait se rapprocher la sainteté de ses membres et celle de Dieu, heureuse
table où peuvent s’asseoir ceux qui ont faim et soif de la justice, les
persécutés pour la justice, les doux, ceux qui pleurent, les miséricordieux,
les cœurs purs, les pacifiques. Heureuse table de l’eucharistie qui les
rassasiera tous aujourd’hui.
Maredsous 1 novembre 2020