21 novembre 2023

SESSIONS BIBLIQUES MAREDSOUS

 

Sessions d’initiation à l’Ancien Testament


2024


27 - 28 avril

Le prophète Amos

Faire la justice



8 - 9 juin

Le prophète Osée

Une théologie de l’Amour




28 - 29 septembre

Le prophète Isaïe 
(ch 1-39)

Croire envers et contre tout



9 - 10 novembre

Le prophète Isaïe 
(ch 40-55)

Le prophète de la consolation





14 - 15 décembre

Le Deutéronome

Une loi inspirée par l’amour







INFORMATIONS PRATIQUES

31 octobre 2023

À propos de la liturgie

 FÊTE DE LA TOUSSAINT

Matthieu 5, 1-12a


Les Saints et Saintes que nous fêtons aujourd’hui nous invitent à lire les Béatitudes d’une seule traite, sans les couper en deux, sans y introduire le dualisme qui marque si souvent, peut-être même toujours, notre pensée. Il n’y a pas ici deux volets, l’un pour aujourd’hui, pour maintenant, l’autre pour après, pour le futur, pour le ciel. Heureux les pauvres de cœur, voilà ce qui serait pour aujourd’hui ; le royaume des cieux est à eux, voilà qui serait pour demain. Nous devons faire un réel effort pour ne pas en rester à une telle lecture des Béatitudes. Une telle lecture nous empêche de comprendre quelle sainteté nous célébrons aujourd’hui, nous empêche tout simplement de comprendre qui est Dieu.

Le Royaume des cieux est à eux, lisons-nous. Eux, les pauvres de cœur. Mais si Dieu est celui qui nous ouvre les portes de ce royaume, si Dieu est lui-même ce royaume auquel il nous fait communier, Dieu ne doit-il pas être lui-même pauvre de cœur ? Dieu n’est-il pas lui-même pauvre de cœur, puisque le royaume des cieux est à lui ?  Les saints et les saintes sont ceux et celles qui ont vécu dans cette conviction. Ils ont lu cette première Béatitude d’un seul tenant, d’une seule traite, d’une seule phrase. Ils ont vécu cette pauvreté de cœur qui les tenait déjà près de Dieu et qui les tient aujourd’hui tout près de Dieu, parce qu’ils ont et parce qu’ils ont toujours, comme Dieu, un cœur de pauvre. 
Que Dieu soit pauvre de cœur, il nous l’a bien montré en son Fils Jésus, venu dans notre monde. Saint Paul le dit d’une manière tout-à-fait remarquable. Jésus, le Christ, Fils de Dieu, est allé jusqu’à toute extrémité, en s’anéantissant lui-même, prenant la condition d’esclave. Y a-t-il moyen d’être plus pauvre de cœur ? Et saint Paul de poursuivre : il est encore allé plus loin, en s’abaissant jusqu’à la mort de la croix. Et cela lui a valu de partager la gloire de son Père, autrement dit, la gloire qui se trouve dans le royaume des cieux.


Ce Jésus souverainement exalté, c’est bien celui qui s’est fait pauvre pour nous enrichir par sa pauvreté. Et c’est bien ce qui nous fait lire cette Béatitude sans y introduire aucune division que ce soit. Dieu lui-même reste pauvre de cœur quand le royaume des cieux est à lui. Nous voilà à l’intime le plus intime de la sainteté de Dieu. Nous voilà à ce point exact où se vit la sainteté de ceux et celles que nous célébrons aujourd’hui. Nous voilà à ce carrefour où pauvreté de cœur et grandeur du royaume des cieux ne font qu’un.
Voici un appel puissant à vivre nous-mêmes de la sainteté de Dieu. Soyez saints, comme je suis saint, nous dit Dieu dans l’Écriture. Qu’est-ce à dire, sinon qu’il faut désirer la sainteté, qu’il faut même la vouloir, mais la vouloir à l’image de Celui qui nous invite de cette manière. Une sainteté où la pauvreté du cœur n’existe que pour le royaume des cieux, où le royaume des cieux se confond avec la pauvreté du cœur, où le Christ mort et ressuscité reste Celui qui attire les regards et attire à la communion.


Heureux ce Dieu au cœur de pauvre, heureux ce royaume où la pauvreté fait la richesse de ses habitants, heureuse Église si elle peut elle-même anticiper la communion qui fait se rapprocher la sainteté de ses membres et celle de Dieu, heureuse table où peuvent s’asseoir ceux qui ont faim et soif de la justice, les persécutés pour la justice, les doux, ceux qui pleurent, les miséricordieux, les cœurs purs, les pacifiques. Heureuse table de l’eucharistie qui les rassasiera tous aujourd’hui.

P. Nicolas Dayez (°1937 – 〸2021)
Maredsous 1 novembre 2020






14 août 2023

À propos de la liturgie

 Fête
de
l’Assomption


Luc 1,39-56

Avant d'être un jour de congé, la fête de l'Assomption est une fête liturgique. Comme toutes les fêtes liturgiques, elle se déroule au rythme de la fête de Pâques. Comme toute la vie chrétienne aussi. En effet, nous l'oublions sans doute beaucoup trop, le centre de la foi chrétienne, c'est une fête. Avec tout ce que suppose une fête, une vraie fête : de l'émerveillement, de la joie, de la gratitude, de l'allégresse, de la louange.
Mais c'est difficile de parler de la fête. C'est beaucoup plus facile de parler des souffrances, des épreuves, des malheurs, des peines, des ennuis, des catastrophes : ce sont des situations qui nous sont plus proches, qui font partie de notre expérience bien plus immédiate. Ce serait plus facile de parler des situations dans le monde que vous connaissez aussi bien que moi, même si c'est pour dire qu'elles sont insupportables et indignes de l'humanité.
Ce n'est pas ce que nous propose la liturgie. Et sans rien oublier de ce que nous vivons, il nous faut accepter cette véritable leçon de fête que nous recevons aujourd'hui. Une vraie fête, c'est contagieux. Tous ceux qui perçoivent ce qui se passe, d'une manière ou d'une autre, tous ceux qui vibrent à la résonance de la fête, ceux-là sont pris au jeu. Remarquez : c'est ce qui arrive avec l'enfant qui est dans le sein d'Elisabeth. Il tressaille d'allégresse, nous dit l'Evangile. La rencontre de Marie et d'Elisabeth est une fête, une vraie fête, une fête de Dieu, et, même dans le sein de sa mère, l'enfant en perçoit quelque chose.


Qu'est-ce que Marie nous apprend en ce sens ? Qu'une fête , cela suppose d'abord l'attention à la présence de Dieu : avoir assez de délicatesse pour s'apercevoir que Dieu est là, être suffisamment à l'écoute pour que les merveilles de Dieu puissent nous être racontées, avoir les yeux suffisamment ouverts pour détecter tous les signes de la présence de Dieu au milieu de nous. Tout cela, pour se laisser aller à la joie de cette constatation : Dieu est grand et sa toute première grandeur, c'est d'être là, présent, au milieu des hommes et de leur histoire.
Marie, la Mère de Dieu, c'est pour nous une véritable école de la fête, celle de l'humanité tout entière. Elle est le lieu où nous pouvons apprendre à son contact à devenir un peuple en fête. Il y a un psaume qui dit : Heureux le peuple qui sait l'acclamation, heureux le peuple qui est capable d'être un peuple en fête, c'est-à-dire un peuple qui reconnaît la grandeur d'un Dieu qui a montré qu'il était capable de s'occuper des pauvres, des humbles, des petits.


J'ai parlé d'une école. La leçon que nous avons à y apprendre est tout entière dans le Magnificat, le cantique de la Vierge Marie. Elle nous prête sa voix, à nous qui sommes pauvres, souffrants, humiliés, écrasés; et elle fait de nous des gens étonnés et surpris de la tendresse réelle de Dieu, des gens qui écoutent attentivement ce que l'action de Dieu produit en nous. Le Puissant fit pour moi des merveilles : que nous faut-il de plus pour entamer la fête ?


Pour le Juif, la merveille de Dieu, la fête, c'est que le peuple soit sorti d'Egypte. Pour le chrétien, la merveille de Dieu, la fête, c'est que le Christ soit ressuscité, qu'il nous ait sorti d'un monde où il n'y avait pas de place pour l'espérance, le pardon, la réconciliation. Pour Marie, élevée au ciel, la merveille de Dieu, la fête, c'est d'être la première invitée à cette fête, la première à pouvoir en partager toute la joie.
Est-ce que nous serons capables de faire nôtre cette fête de Dieu, celle-ci, mais également toutes celles que la liturgie met sur notre route ? Est-ce que nous serons capables d'ouvrir notre cœur à une joie partagée ? Est-ce que l'eucharistie sera pour nous une vraie fête ? 

P. Nicolas Dayez osb [°1937 – 〸2021]
Homélie pour l’Eucharistie de la Fête de l’Assomption
Maredsous, le 15 août 1994














10 juillet 2023

À propos de la liturgie

Saint Benoît, patron de l’Europe
À propos du Prologue de la Règle de Saint Benoît

Saint Benoît, patron de l’Europe, adresse sa règle à tous les humains : « … à toi, qui que tu sois »*. L’invitation est sans limite. Elle va au-devant du désir caché en chacun d’entre nous : la vie et le bonheur. Qui ne souhaite pas vivre et être heureux ? Quoi de plus universel que l’aspiration au bonheur ? quoi de plus exceptionnel aussi que la satisfaction de ce désir, pleine et durable ? Mais qui est vraiment prêt à en payer le prix ? et quel est ce prix ? Surtout, de quel bonheur s’agit-il ? et de quelle vie ?
Toutes ces questions habitent l’esprit de Saint Benoît. Le long Prologue de sa Règle en témoigne dès les premières lignes. La « vie » dont il s’agit est la Vie même de Dieu, sa « gloire », sa « lumière ». Le « bonheur » qui la définit est celui d’une rencontre : « Me voici ! ». Dieu n’est pas une idée, la conclusion d’un raisonnement, une conviction philosophique. Il est la vie elle-même, en chacun d’entre nous, avec l’amour dont nous recherchons tous la « douceur ineffable ». La vie et le véritable amour ne s’expliquent pas, ils se méritent encore moins ; ils sont donnés. Uniques et différents, pour chacun d’entre nous.
Encore faut-il non seulement les recevoir, mais aussi les garder et, pour cela, les entretenir. Là se trouve le prix du bonheur dont Saint Benoît veut montrer le chemin. À l’école d’un « Maître » et d’un « Père », « le Christ, notre véritable Roi », il nous offre, pour ainsi dire, ‘le guide pratique’ de l’Évangile, un manuel de la ‘recherche de Dieu pour tous’. Le premier pas dans l’apprentissage de cette recherche de la vie et du bonheur consiste en une décision : celle de « changer de direction » pour passer du moi au toi, d’un objectif intéressé, tourné vers son profit personnel, à un objectif désintéressé, défini par un autre et pour un autre. Cet autre, c’est le frère ou la sœur rencontrés au quotidien et, à travers eux, c’est Dieu, imploré dans « la prière » dès avant le départ. Quant au chemin, sa Parole en trace l’itinéraire chaque jour.
Les obstacles sur la route ne manquent pas. Le premier, le principal, vient de la difficulté à « écouter », doublé de la lenteur à « se lever ». Distraction et paresse guettent chacun sur le chemin de l’attention aux autres et à l’Autre, un chemin où Saint Benoît invite pourtant à « courir » … Moines et moniales ne détiennent pas l’exclusivité de la course, loin de là ! Il y a autant d’itinéraires et de coureurs potentiels qu’il existe de situations humaines vécues, quelles qu’elles soient et en tous lieux ; autant d’appels à remporter la course, avec la douceur de l’amour. La paix est ce prix et chacun est candidat au titre de champion !

À tous, joyeuse fête de Saint Benoît !

[*Les mots ou expressions entre guillemets sont tous empruntés au Prologue de la Règle de Saint Benoît.]

Moulin de Maredsous, fête de Saint Benoît,
11 juillet 2023

Sr Loyse Morard osb




21 août 2022

À propos de la Bible

NOUVEAUTÉ


Zachée, 

descend vite ! 

une heureuse rencontre




C’est le titre du recueil d’homélies du Père Nicolas Dayez, ancien abbé de Maredsous décédé le 9 juillet 2021, que viennent de publier les Éditions Saint-Léger.
43 homélies, présentées par le Père Maurice Bogaert moine de Maredsous, sont rassemblées et éditées par Sœur Loyse Morard, bénédictine du Moulin de Maredsous. Toutes commentent le même récit de « l’heureuse rencontre » entre Jésus et le publicain Zachée, et les effets qui s’ensuivirent (Évangile selon saint Luc 19,1-10).

Ces réflexions, reflets de toute une vie, se succèdent au long des ans, en divers lieux et circonstances, depuis le 18 août 1973. Elles se terminent le 14 juillet 2021, jour des funérailles de l’auteur, dont ce dernier avait pris soin de choisir d’avance la lecture évangélique et d’en rédiger l’homélie.


Chacun pourra saisir dans ces pages l’écho d’une expérience personnelle, d’une conviction, d’un désir quotidien et permanent capable de se répercuter à l’infini dans son propre cœur. Ainsi la rencontre de Jésus avec le publicain Zachée continuera à porter ses fruits aujourd’hui, à travers la rencontre de l’auteur et de son lecteur… Souhaitons-le.
Bonne lecture !

Dom Nicolas Dayez osb (1937-2021),
moine de l’abbaye de Maredsous et son septième abbé, continua sa formation musicale au Conservatoire Royal de Bruxelles où il obtint les premiers prix d’harmonie et d’orgue. Licencié en philosophie (Saint-Anselme, Rome), en théologie et en droit canonique (Strasbourg), il est ordonné prêtre en 1967. À la tête de son abbaye depuis 1972, il a présidé pendant trente ans l’anniversaire de la dédicace de l’église abbatiale et bien d’autres célébrations. Ses homélies, toujours nouvelles, étaient écoutées avec plaisir et profit, pas seulement par ses frères moines.









14 août 2022

À propos de la liturgie

 

Fête
de
l’Assomption


Nous continuons à appeler « Magnificat » le cantique de la Vierge Marie. Il a traversé les siècles en gardant toute sa fraîcheur. Comme les Béatitudes, le Notre Père et d’autres textes encore. Quel est le secret de cette fraîcheur ? Y a-t-il moyen de répondre à cette question ?
Il y a tout d’abord le fait que ce texte est tout-à-fait personnel. Il commence par ce qu’on appelait autrefois – peut-être encore aujourd’hui – un adjectif possessif : mon âme, mon esprit, il s’est penché sur moi, humble servante, il a fait pour moi des merveilles. Le « Magnificat » se présente à nous comme une sorte d’autobiographie. Marie nous raconte sa vie, ce qu’elle vit et ce qu’elle traverse, le sens qu’elle donne à tous ces événements. 
Mais attirer ainsi l’attention sur soi, ce serait vite insupportable, s’il n’y avait pas – et tout de suite – le passage à une perspective que nous qualifierions de « mondiale ». Ce qui n’est pas assez dire, et ce qui n’est même pas bien dire. Tous les âges me diront bienheureuse. Nous sommes partis d’une personne concrète, Marie, qu’on peut désigner du doigt. Et sans crier gare, nous passons de suite à un élargissement de ce lien. Marie commence par nous parler à la première personne du singulier, mais elle n’est pas refermée sur elle-même, elle vit et elle communie à tout l’univers, à toute la création, à tous les âges, elle vit aux dimensions de Dieu.

En faisant ainsi, Marie lève pour nous, au moins un peu, le voile du secret de l’éternelle jeunesse de son cantique. Nous n’y pensons peut-être pas assez : le « Magnificat » chante la magnificence. Nous n’utilisons plus beaucoup ce mot pour dire la grandeur de ce que Dieu fait. Marie chante cette grandeur, elle la magnifie. Elle nous dit que Dieu fait cette grandeur avec de la bassesse, comme si on ne pouvait remplir qu’en vidant, comme si on ne pouvait hausser qu’en abaissant, comme si on ne pouvait anoblir qu’en passant par l’ignominie. Dieu le fait depuis toujours et c’est bien pourquoi l’intégrale des générations dira Marie heureuse.
Alors vient la question : est-ce possible qu’une partie de celle qui chante ainsi le « Magnificat » reste en dehors des merveilles de Dieu ? Le Puissant fit pour moi des merveilles : allons-nous mettre une limite à Dieu ? Allons-nous mettre une frontière au-delà de laquelle il n’y a pas d’accès pour la magnificence que Dieu met en œuvre ?
La fête de l’Assomption est la fête de notre réponse à cette question, la fête de la réponse de l’Église. Ce que Marie a chanté, nous le chantons aujourd’hui. Ce que Marie a chanté, l’Église le chante aujourd’hui. Et pour chanter le « Magnificat », il faut une âme que j’oserai dire à la mesure de Dieu. Nous voilà donc invités à quitter toute étroitesse, toute mesquinerie (le contraire de la magnificence), tous ces millimètres avec lesquels nous avons trop tendance à mesurer, même quand il s’agit de Dieu.
La fête de l’Assomption, c’est aussi la fête de la mémoire de Dieu. Et Dieu a une mémoire infaillible. Il se souvient de son amour, de la promesse qu’il a faite à nos pères, en faveur d’Abraham et de sa race à jamais. Voilà finalement le secret de cette jeunesse que j’évoquais en commençant. L’amour peut-il vieillir ? Le nôtre, peut-être, parfois, pas toujours. L’amour de Dieu ne vieillit pas, ne vieillit jamais. Chacune des phrases du chant de Marie vibre de cette constatation, vibre bien davantage de ce que Marie elle-même a accueilli sans réserve, parce que Dieu le lui offrait sans réserve. 
Mon âme exalte le Seigneur. Laissons à notre âme – au moins pour aujourd’hui – la dimension que Dieu lui-même veut lui donner. Laissons-la se dilater. Laissons-la être grande. Laissons-la connaître la magnificence. Laissons-la être jeune. De la jeunesse de Dieu.


P. Nicolas Dayez
Homélie pour la Fête de l’Assomption
Maredsous, le 15 août 2012










10 juillet 2022

À propos de la liturgie

 

11 juillet

SOLENNITÉ DE SAINT BENOÎT 

 



SUIVRE JESUS

Réflexion sur la profession monastique


L’évangile proposé par la liturgie pour la fête de Saint Benoît parle de la profession monastique :

« Pierre prit la parole et dit à Jésus : ‘Voici que nous avons tout quitté pour te suivre, quelle sera donc notre part ?’ Jésus leur déclara : ‘Amen, je vous le dis : lors du renouvellement du monde, lorsque le Fils de l’Homme siégera sur son trône de gloire, vous qui m’avez suivi, vous siégerez, vous aussi sur douze trônes pour juger les douze tribus d’Israël. Et celui qui aura quitté, à cause de mon nom, des maisons, des frères, des sœurs, un père, une mère, des enfants, ou une terre, recevra le centuple, et il aura en héritage la vie éternelle.’ » (Mt 19,27-29)


L’apôtre pose sa question de façon naïve, apparemment un peu intéressée : il voit tout ce qu’il a quitté pour suivre Jésus et il attend la contrepartie. Ses idées s’enchaînent selon un certain ordre. « Suivre Jésus » apparaît en second, comme la transition entre le détachement et la récompense.
 
La réponse de Jésus renverse cet ordre : il s’adresse d’abord à « vous qui m’avez suivi ». Puis il énumère, en général, ce qu’il faut quitter pour le suivre : maisons, frères, sœurs, père, mère, enfants ou terre. La récompense enfin consistera à siéger sur douze trônes pour juger les tribus d’Israël et avoir en héritage la vie éternelle. Propos mystérieux… Mais n’est-il pas significatif que Jésus renverse l’ordre de la question ?


Saint Benoît demande au moine, au jour de sa profession, de « promettre stabilité, conversion des mœurs et obéissance » (Règle c. 58,17). Il termine par l’essentiel. Le novice qui fait le choix de la vie monastique ne pense pas d’abord à ce qu’il quitte mais bien à Celui qu’il veut suivre. C’est l’amour qui permet de tout quitter, et seulement l’amour. « Suivre Jésus » entraîne tout le reste. Voilà l’obéissance que Saint Benoît pose à la base de tout l’itinéraire spirituel, le premier degré de l’échelle de l’humilité. Obéir, c’est suivre quelqu’un qu’on aime, s’attacher à lui, complètement.

Ensuite seulement apparaît ce qu’il faut quitter.  Là, Jésus énumère toutes les formes de possessions : matérielle (maison, terre) et affective (frères, sœurs, père, mère, enfants). La « conversion des mœurs » n’appelle à rien d’autre : être libre à l’égard des richesses matérielles et affectives, « à cause de son nom », à cause de lui Jésus, de sa personne, de son amour, parce que le fait de le suivre est plus précieux et encore plus désirable que tout le reste. Tout ce que l’on peut posséder rencontre une fin, une limite. L’amour, lui, ne supprime rien, il intègre. Ce que l’on quitte n’est jamais si bien honoré que si on le quitte pour un « plus ». Il en reçoit alors un sens et un avenir.


Alors nous comprenons que la récompense promise se présente comme une sorte de « stabilité » : siéger sur douze trônes pour juger les douze tribus d’Israël. Obéir, s’attacher à Jésus, se libérer des entraves qui limitent ou encombrent, permet de « siéger » avec lui, de trouver en lui un point d’appui solide et définitif. De participer, avec lui, au discernement du jugement final. D’entrer, dès maintenant, dans sa lumière et sa liberté. La stabilité est comme la récompense accordée à celui qui obéit et qui se convertit, ce centuple que Jésus promet. À travers elle, jour après jour, l’amour de Dieu nous offre déjà la vie éternelle…

La première question que Saint Benoît nous pose est bien celle-ci : « Quel est l’homme qui désire la vie ? » (Règle, prol. 15) Tout commence par là. Pour lui, la profession monastique n’a pas d’autre but : nous « conduire tous ensemble à la vie éternelle » (Règle c. 72,12). Et quoi de plus stable que la vie éternelle ? Être fidèle à sa profession monastique, c’est entrer dans cette stabilité de Dieu. Ensemble, en suivant Jésus.